René Beaulieu, Un fantôme d’amour (Hy)
René Beaulieu
Un fantôme d’amour
Roberval, Ashem Fictions, 1997, 64 p.
J’ai lu d’un trait et avec un plaisir constant ce trop court recueil où l’on retrouve la plume élégante et trompeusement simple de René Beaulieu, toujours alliée à une grande sensibilité dans le traitement des personnages.
J’avais pourtant commencé ma lecture avec le pincement d’inquiétude que l’on peut éprouver en retournant à une œuvre que l’on a beaucoup aimée. En effet, les deux premières nouvelles, « L’Arbre » et « Miroirs », sont deux textes publiés en 1981 dans l’introuvable premier recueil de René Beaulieu, Légendes de Virnie, de la mythique collection Chroniques du Futur du Préambule. Je ne les avais pas relus depuis plus d’une décennie et, pour dire la vérité, je préférais ne pas le faire pour éviter une éventuelle déception. Je m’inquiétais à tort. Les deux nouvelles tiennent fort bien la route, surtout « Miroirs » qui joue sur la même corde sensible qu’une nouvelle célèbre des années 50, « No Land of Nod » de Sherwood Springer, où un père doit s’accoupler avec ses trois filles pour repeupler la Terre.
Dans la nouvelle de Beaulieu, un homme et une femme rescapés de l’écrasement d’un vaisseau colonisateur doivent attendre trente ans l’arrivée des secours. Ils ont une fille mais la mère meure en couche. Quinze ans plus tard, c’est au tour du père d’être atteint de leucémie ; et comme sa fille ne peut accepter de vivre seule jusqu’à l’arrivée des secours, elle demande à son père de lui faire un enfant. Cette histoire scabreuse et finalement un peu tirée par cheveux est néanmoins fort touchante grâce à des personnages crédibles.
Le qualificatif de « touchant » n’est certes pas celui que j’emploierais pour décrire « L’Énergie des esclaves », un texte dur qui est certainement le texte le plus politique de Beaulieu. Je n’en parlerai pas ici, puisqu’il s’agit d’une nouvelle que j’avais accepté pour publication dans Solaris 92 à l’époque où j’en étais le directeur littéraire – j’aurais peur qu’on me taxe de partialité !
Finalement et enfin, le recueil se termine avec un texte inédit, « Un fantôme d’amour », ni SF ni fantastique, ce qui ne lui retire rien par ailleurs. Le propos est très simple : un homme rencontre régulièrement une prostituée et la convainc de lui expliquer comment « elle en est venue là ». Une histoire triste et simple, ai-je dit, qui est sauvée du mélodrame par la sensibilité du traitement, la lucidité des personnages, la justesse des dialogues et une finale surprise qu’il serait inconvenant de révéler ici.
J’ai failli conclure en me désolant du pitoyable état de l’édition professionnelle au Québec qui fait que des nouvelles de cette qualité ne sont disponibles que chez de valeureux microéditeurs comme Ashem Fictions et les Éditions de l’À Venir (voir « Les Littéranautes » du dernier numéro). Mais je vous épargnerai l’éditorial pour cette fois. De votre côté, amateurs de bonne science-fiction québécoise, vous savez ce qui vous reste à faire…
Joël CHAMPETIER