André Carpentier, Rue Saint-Denis (Fa)
André Carpentier
Rue Saint-Denis (Contes)
Montréal, Hurtubise HMH (L’Arbre), 1978, 144 p.
André Carpentier n’a plus besoin, lui non plus, de carte de visite. Je vous renvoie à la page 20 du numéro 23 de Requiem au cas où vous auriez la mémoire courte.
Second ouvrage donc en quelques mois et ce n’est pas fini : L’Arbre n’a pas fini de bourgeonner !
La rue Saint-Denis, vous connaissez ? C’est vrai qu’on y rencontre tout le gratin underground de Montréal : les artisses, les vrâs et les faux, les intellectuels, vrâs ou faux, les zétudiants du Cégep voisin, les robineux du coin et toutes ces sortes de créatures qui font freaker les bourgeois.
Et voilà que Carpentier révèle un autre aspect, plus sournois, moins folklorique et plus dangereux : le Saint-Denis fantastique hanté par le Mage Pichu, le BI, et autres sorciers. Des maisons hantées en plein centre-ville ? Tiens donc… Lisez « La Coche du Bi ». Le fantastique des contes de Carpentier est très efficace car l’auteur se sert d’une recette éprouvée : le lecteur est tout d’abord invité dans un cadre quotidien, ordinaire et familier, avec des personnages qu’il connaît bien. Exemple Mado Brisson et Benoit Simard, des personnages que nous connaissons bien, que nous côtoyons tous les jours, qui ont nos problèmes, et cela dans le cadre de la rue St-Denis, à Montréal, à notre époque. Rien de surnaturel là-dedans… Jusqu’au jour ou Mado se met en tête d’acheter un coffret, le coffret dit « de la Corriveau » dans une boutique qui s’appelle Le Chercheur de trésor (les deux noms, celui du coffret et celui de la boutique font allusion à deux légendes/récits du folklore québécois, riches en surnaturel). Mais le lecteur ne se méfie pas encore : après tout il est normal qu’une boutique située dans un des quartiers les plus nationalistes de Montréal, joue sur des thèmes propres au pays, des légendes connues de tous. Mais voilà, le coffret en question… Bref, lisez ce petit bijou de conte.
André Carpentier a de l’imagination, une maîtrise parfaite de la langue et un sens du récit qui en font un excellent conteur. On en veut d’autres…
Je m’en voudrais par ailleurs de passer sous silence la très belle présentation du livre. Du point de vue strictement esthétique, pour ceux qui comme moi, ont un plaisir presque érotique à manipuler des livres, (remballez vos freudanités) Rue Saint-Denis est un beau livre, au graphisme étonnant. La maquette de la couverture et les illustrations intérieures sont de l’auteur lui-même, ce qui me paraît une excellente idée. J’ai rencontré bien des auteurs déçus par la présentation de leurs livres. Certains ne sont même pas consultés et ont souvent envie de renier leur rejeton quand ils voient la gueule qu’il a ! Ici, on a confié le travail à de spécialistes du graphisme (Carpentier, après tout était rédacteur en chef d’une revue de BD, L’Écran). Le résultat est très bon.
Norbert SPEHNER