Jean-François Somcynsky, La Planète amoureuse (SF)
Officiellement, La Planète amoureuse de Jean-François Somcynsky est le premier roman de la collection Chroniques du Futur. Mais, en réalité, l’oeuvre de Somcynsky s’apparente plus à une longue nouvelle qu’à un roman. Il n’y a pour ainsi dire qu’une seule idée qui soit développée, soit la relation entre l’héroïne Alba et la planète Ménitar.
L’auteur apporte quelques précisions sur la société qui s’est développée sur Zébur, dont Ménitar est un satellite, mais sa description demeure sommaire si on la compare aux tableaux sociaux dépeints dans les romans d’Élisabeth Vonarburg et d’Alain Bergeron, par exemple. Quand une occasion se présente d’élaborer le système économique ou social de cette société, l’auteur n’ose pas s’aventurer sur ce terrain et il règle la question en une phrase. On sait seulement que les gouvernements sont très discrets et que les grandes entreprises privées contrôlent l’économie de la planète. Le système capitaliste y fleurit mais ses maux et ses lacunes semblent avoir été résolus pour le mieux dans le meilleur des mondes.
L’auteur est un peu plus loquace sur les moeurs des habitants de Zébur, particulièrement leurs moeurs sexuelles, car la relation entre Alba et Ménitar est avant tout physique. Toutes les orientations sexuelles ont droit de cité sur Zébur et aucune morale ne régit l’exercice de la jouissance. Il existe même une cité du plaisir Rodyo, qui satisfait la sexualité des gens au moyen d’appareils érotiques.
Alba profite pleinement de ce libéralisme pour vivre le plus d’expériences sexuelles possibles. Elle va même sur Elirac, autre satellite qui sert de porte d’entrée à Zébur, pour faire l’amour avec des mutants et côtoyer le danger. Alba aime l’aventure, la vie, l’amour et elle n’a de cesse de vivre de nouvelles expériences. C’est pourquoi elle a choisi le métier de pilote de navettes. Son habileté et son expérience l’ont propulsée au sommet de sa profession et elle est reconnue comme le meilleur pilote de l’entreprise Astronautica, qui se spécialise en explorations spatiales.
Pour devancer Rama, une entreprise concurrente, Astronautica cherche à mettre la main sur un alliage extrêmement rare, le rodium. Cet alliage pourrait servir à l’alimentation des moteurs des navettes spatiales et améliorerait grandement la vitesse des vaisseaux. Or, Astronautica a découvert qu’un astéroïde contenant ce précieux alliage doit passer à proximité de Zébur, et on veut confier à Alba la mission de prélever le plus possible de rodium.
L’astéroïde est difficile d’accès et on veut mettre toutes les chances de son côté en utilisant son meilleur pilote. Mais Alba vient de partir en vacances sur la planète Ménitar et on ne peut la rejoindre par phonoscope car les communications sont brouillées. Tibor, chef de la division des services d’exploration à Astronautica, va la chercher sur Ménitar.
Ce planétoïde a déjà été exploré il y a plus d’un siècle par l’entreprise Rama, mais les chercheurs avaient conclu qu’il ne présentait aucun intérêt. Son paysage désertique, son absence de ressources minérales, n’offraient aucun potentiel commercial ou touristique. En outre, les phénomènes bizarres qui s’y produisaient avaient contribué à faire de Ménitar une planète peu invitante, sinon hostile.
Mais vint Alba, la femme émancipée, aventurière, qui désire voir de ses propres yeux ce que Ménitar a de particulier. Et la planète ne peut résister au sex-appeal d’Alba, surtout que celle-ci se met à poil après avoir constaté que les conditions de vie sont sensiblement les mêmes que sur Zébur. C’est que Ménitar n’est pas une planète ordinaire. Elle a des réactions qui s’apparentent à celles d’un être vivant.
Le soir de l’arrivée d’Alba, la planète lui offre un magnifique spectacle de couleurs, et les vibrations qu’elle dégage procurent à la jeune femme un orgasme qui la laisse épuisée sur le sol. Les jours qui suivent sont pour Alba autant de moments de plénitude et de satisfaction sexuelle. Une baignade dans l’eau dorée d’un lac procure un orgasme d’une autre sorte à Alba. Celle-ci vient à nouer une relation avec la planète comme s’il s’agissait d’un être humain. Elle lui parle, elle tente d’atteindre une espèce de symbiose avec elle car elle se sent bien dans cet environnement.
Mais la planète la désire aussi, et elle ne sait pas toujours contrôler ses instincts. Elle tente de violer Alba alors qu’étendue sur la plage, l’aspirant soudain dans des sables mouvants qui lui broient le ventre et le sexe.
La moitié du roman est consacrée à ces jeux érotiques, tandis que l’autre décrit les efforts déployés par une équipe de Rama pour tenter de découvrir pourquoi Astronautica semble s’intéresser tout à coup à Ménitar en y envoyant Alba et Tibor. Ceux-ci pourront d’ailleurs compter sur la complicité de la planète pour se débarrasser de leurs poursuivants. Ménitar s’incarnera en quelque sorte en Tibor et prendra la commande des opérations.
La relation sexuelle entre la femme et la planète aurait pu être du plus haut ridicule, d’autant plus qu’elle n’est pas très vraisemblable. Sans doute certains lecteurs qui attachent de l’importance à la technique de la navigation spatiale verront-ils dans certains faits des erreurs de vraisemblance chez Somcynsky Quelques explications demeurent en effet suspectes car elles contredisent des lois physiques élémentaires. Néanmoins, elles n’ont pas d’incidence sur le projet d’ensemble de l’auteur.
Somcynsky multiplie les orgasmes à répétition chez Alba et les descriptions de paysages d’une beauté inouïe afin d’exalter la puissance, la nécessité et la primauté des rapports sexuels. Le lyrisme emporté sous lequel se place chacune des étapes de la relation Alba/Ménitar finit toutefois par agacer et l’éloge de la vie et de l’amour pèche par manque de retenue.
Ce qui sauve le roman de la médiocrité et de la vulgarité pornographique et sexiste, c’est, à mon avis, le regard porté par l’auteur sur cette relation particulière. Somcynsky la transpose sur un plan mythique alors qu’il compare l’union entre Alba et Ménitar à celle des dieux grecs et romains qui se métamorphosaient en animaux pour tromper ou séduire les déesses. En faisant d’Alba une déesse (ce qui explique qu’elle soit trop parfaite pour être humaine et crédible en tant que personnage), l’écrivain justifie les excès de l’écriture et les invraisemblances du scénario.
La Planète amoureuse raconte en somme l’histoire de la déesse de l’amour dans un décor de science-fiction qui remplace l’Olympe. Cette oeuvre célèbre la beauté de l’union charnelle, de la vie et de la jouissance avec une telle ardeur qu’on reste pantois devant une telle liberté de pensée. S’il existait en littérature comme au cinéma un bureau de surveillance, sans doute le roman de Jean-François Somcynsky se mériterait-il la mention « Pour adultes seulement ». Qu’on en juge par ce passage :
« Les mains serrées sur ses fesses, elle avala le sperme fabuleux. Cela aussi était une drogue. Elle sentait couler en elle, dans ses bras, dans son coeur, dans son ventre, la brûlure lumineuse des étoiles, les grandes marées des planètes aquatiques, les vents immenses des espaces infinis. Tibor, ébloui, conservait son érection. Il était Ménitar, le créateur, le dispensateur, l’ordonnateur, le démiurge » (p. 163).
Voilà, le mot est lâché. « Il était le démiurge ». L’utopie érotique telle que conçue par Jean-François Somcynsky dans La Planète amoureuse ne se différencie aucunement de la conception du monde héritée de la civilisation grecque. Même si Alba a toujours prêté à Ménitar une personnalité féminine, c’est par l’intermédiaire du corps de Tibor que la planète, à la fin du roman, fait l’amour à Alba. Ce choix de l’écrivain est très révélateur car Ménitar aurait aussi bien pu s’incarner momentanément en Jacqueline, une terrienne qui accompagne Tibor sur la planète.
Tout au long du roman, l’utopie érotique de Somcynsky reste ouverte à plusieurs interprétations mais la conclusion de l’oeuvre reconduit le modèle millénaire éprouvé. Cette fin incroyablement traditionnelle constitue un démenti à la thèse féministe ou, à tout le moins, égalitaire que semblait défendre l’auteur. Ne reste plus de cette utopie érotique qui tient moins de « l’héroic fantasy » que du space opera qu’un message universel sur la beauté de la vie dont le corps humain demeure l’instrument privilégié de perception et dont l’amour constitue la nourriture la plus essentielle.
La Planète amoureuse, par Jean-François Somcynsky. Longueuil, Le Préambule (Chroniques du Futur, 5), 1982, 172 p.
Claude JANELLE