Pierre Billon, L’Enfant du cinquième Nord (SF)
Pierre Billon, l’auteur de L’Enfant du cinquième nord, est originaire de Suisse mais il est naturalisé Canadien depuis plusieurs années. J’avais bien aimé son premier roman paru en 1972, L’Ogre de Barbarie, qui racontait l’histoire d’une petite fille juive résidant en Suisse pendant la guerre de 1939-45. Les événements étaient vus par les yeux de l’enfant, ce qui contribuait grandement à la fraîcheur, la simplicité et la spontanéité du récit. En outre, la gravité de certaines situations était toujours désamorcée par un humour remarquable.
Dans L’Enfant du cinquième nord, cette simplicité et cette insouciance enfantine face à la vie ont fait place à la complexité et à la gravité des questions morales. Le récit est encore centré sur deux enfants, mais il est assumé par un adulte, ce qui change totalement la perspective. Ce que le livre perd en fraîcheur, il le gagne en profondeur tandis que l’émotion et la tendresse remplacent l’humour.
Mais L’Enfant du cinquième nord est-il un roman de science-fiction ? Certainement ! Si, au premier abord, cela ne paraît pas évident, c’est que le roman de Billon se situe ici et maintenant, ce qui est rarissime dans la SF québécoise dont le terrain de prédilection est Tailleurs et le futur. Quand le récit a pour cadre la Terre, il se déroule, soit dans l’avenir, soit dans le passé. C’est là une des originalités du roman de Pierre Billon.
Mais de quoi est-il question dans ce récit ? C’est Daniel Lecoultre, père de la petite Florence, qui raconte l’incroyable histoire de Max Sieber, enfant de dix ans doté de pouvoirs mystérieux. À son contact, les enfants en traitement dans l’aile nord du cinquième étage de l’hôpital Memorial d’Ottawa ont été guéris du cancer. Florence s’y trouvait, ce qui amène le narrateur à s’intéresser à l’existence de Max.
Les spécialistes ne comprennent pas d’où l’enfant tire ses pouvoirs. Ils constatent simplement que l’effet « Sieber » attaque les matières inorganiques. Même les métaux et les alliages les plus résistants succombent à la corrosion et se désagrègent. C’est le Dr. Davis qui découvrira que l’effet « Sieber » a par contre un effet régénérateur sur les matières organiques et qu’il peut guérir les cancéreux.
Cependant, Max est transféré dans une base militaire canadienne, dans le Nord de l’Ontario, où une équipe multidisciplinaire de chercheurs tentent de résoudre l’énigme posée par cet enfant taciturne et supérieurement intelligent. Les militaires ont compris que s’ils perçaient le mystère Sieber, ils pourraient détenir une arme stratégique redoutable. De leur côté, les grandes entreprises pharmaceutiques ont tout intérêt à mettre la main sur la formule qui leur permettrait de vaincre le cancer.
Il y a donc plusieurs enjeux importants qui se nouent autour de la personne de Max. Après une série de péripéties et de rebondissements, aidé par le Dr Maureen Davis et le spécialiste Kenneth Hnatznshyn, le narrateur réussit à reconstituer le puzzle et à fournir une explication scientifique aux pouvoirs de Max
Jusque-là, Max n’était pas sans rappeler les adolescents dotés de pouvoirs paranormaux chez Stephen King (Carrie, Furie, Shining) même si Billon ne recherche pas l’horreur comme c’est le cas chez l’écrivain américain. Toutefois, comme les théories fondées sur l’astrophysique et sur l’énergie cosmique constituent la base de l’explication scientifique du phénomène des radiations noté chez Max, il me semble qu’il est alors clairement établi que le récit évolue et a évolué dans le champ de la science- fiction plutôt que dans le fantastique.
L’argumentation scientifique, même si elle relève du domaine de la spéculation, apparaît suffisamment rigoureuse et plausible pour reléguer aux oubliettes les théories apparentées à la parapsychologie. C’est donc dire que ce sont les derniers chapitres qui établissent la nature véritable de ce roman. Mais comme il s’agit du thème central de l’oeuvre et que toute l’intrigue repose sur l’identité de Max, il n’est pas abusif de dire que L’Enfant du cinquième nord est d’abord un roman de SF. Mais il n’est pas que cela. C’est un roman composite qui tient à la fois de plusieurs genres : policier, espionnage, psychologique. L’auteur fait passer plusieurs préoccupations modernes dans son récit.
Ainsi, Billon accorde une grande importance aux relations humaines. Parallèlement à l’histoire de Max, l’écrivain décrit les rapports qu’entretient Daniel Lecoultre, le narrateur, avec sa fillette de six ans, Florence, avec son garçon, Olivier, avec son ex-femme, Sandy qui vit maintenant à New York. Cette étude de la famille moderne, souvent monoparentale, s’inscrit dans un courant récent et rappelle le thème du film à succès Kramer VS Kramer.
L’auteur analyse les causes de l’échec du couple et ne craint pas de dévoiler les émotions ressenties par l’homme devant la maladie d’un être cher. Lecoultre est capable de compassion, de générosité et d’amour. Il est capable de pleurer, de désespoir comme de joie. Mine de rien, Billon a créé un type d’homme nouveau, moderne, qui n’a pas peur des sentiments, qui joue le rôle du père et de la mère. Sandy n’est pas pour autant présentée comme une dégénérée. Elle est tout simplement différente de Daniel et ils n’étaient visiblement pas faits pour s’entendre.
Le roman pose aussi des questions d’ordre moral sur l’utilisation de la science. L’étude du cas Sieber peut apporter une grande contribution à la médecine comme il peut contribuer à élargir l’éventail des armes de destruction. Faut-il faire confiance à l’humanité ? Et si Max peut effectivement guérir les cancéreux, comment déterminera-t-on le choix des patients ? Quels critères seront utilisés ? L’argent, comme d’habitude ? N’est-ce pas perpétuer une autre injustice ?
L’auteur fait intervenir pour alimenter ce débat, un vieux monsieur d’apparence fragile, condamné par ses médecins, mais étonnamment vigoureux. Ce M. Olivetti est à la tête d’un institut international de contrôle et de coordination de la lutte contre le cancer. Cette entreprise philantropique n’est pas nécessairement bien vue des cartels d’entreprises pharmaceutiques qui font des profits exorbitants avec la maladie et qui ne sont guère intéressés à partager le résultat de leurs recherches.
L’auteur dénonce cette industrie qui exploite le désarroi des gens devant la maladie d’un proche et leur vend à prix fort des illusions compensatoires. Billon a toujours été sensible à cette forme d’exploitation, à ce commerce de l’espoir et à la conspiration du silence qui rend possible de telles injustices. Cela l’amène d’ailleurs à analyser le rôle du pouvoir politique et à l’incriminer dans un réseau de complicités louches avec des groupes que rien n’arrête.
Le patron du narrateur appartient à cette catégorie de politiciens véreux qui cachent leur personnage de crapule sous les apparences d’un ministre incompétent et dépourvu d’intelligence. Mais le narrateur découvrira que John Butler, ministre des Postes et Télécommunications et ex-ministre de la Défense, est un être roué et plus dangereux qu’il n’y paraît et que son passé n’est pas vierge.
Pierre Billon livre une vision satirique des milieux politiques de la Capitale nationale et du monde de la Fonction Publique, monde qu’il connaît bien puisqu’il est lui-même haut fonctionnaire au ministère des Affaires Extérieures, si je ne m’abuse. C’est dans ces passages que s’exerce le plus librement son humour. Il faut lire les quelques pages décrivant la visite d’une délégation française venue au Canada pour étudier le système de télécommunications. « Chaque fois qu’une réalité canadienne les prenait au dépourvu, ils s’empressaient d’y apposer une appellation contrôlée, afin de pouvoir l’analyser ensuite avec discernement » (p. l13).
En somme, L’Enfant du cinquième nord rassemble toutes les qualités qui font aujourd’hui les best-sellers humour, aventure, suspense, sentimentalité (dans le bon sens du mot) et exotisme. En effet, l’action sort d’Ottawa et se transporte tantôt en Jamaique, tantôt à Wabashikokak dans le Grand Nord, tantôt à Pilgrim’s Island, au large des côtes de la Nouvelle-Angleterre.
Même si le récit est bien mené, son efficacité aurait été plus grande si l’auteur n’avait pas utilisé ce style indirect qui alourdit considérablement le rythme et trahit la tendance chez Billon à se répéter. L’autre reproche qu’on pourrait lui adresser c’est ce prologue qui me semble tout à fait inutile. Bien plus, il révèle le sort de Max Sieber alors que ce devrait être justement un élément de suspense. Un prologue qui anticipe sur les événements, voilà qui est assez singulier.
Malgré cette maladresse, le roman de Pierre Billon est une incontestable réussite. Cette oeuvre ne table pas sur l’utilisation de l’horreur ; elle livre plutôt un message d’espoir, d’amour, de générosité et invite l’homme à exprimer simplement ses sentiments et ses émotions.
Billon fait encore confiance à l’homme. Il lui suffit d’être sincère avec lui-même, d’agir selon sa conscience et de respecter les autres pour que la vie soit considérée comme une faveur et non comme un fardeau. Il suffit surtout de regarder vivre un enfant pour savoir apprécier la vie. Ce que fait précisément Daniel Lecoultre, avec sa sensibilité de père et sans fausse sentimentalité. Car je n’ai peut-être pas assez dit que Max Sieber, malgré ses pouvoirs surnaturels, est avant tout un enfant très sensible qui a besoin d’affection et de tendresse.
L’Enfant du cinquième nord
par Pierre Billon. Montréal, Québec/Amérique, 1982, 323 p.
À lire aussi :
Une analyse de ce même roman, par Michel Lord, dans Lettres québécoises, Hiver 82-83, n˚ 28, page 36.
Claude JANELLE