Bernard J. Andrès, La Trouble-fête (SF)
Bernard J. Andrès
La Trouble-Fête
Montréal, Léméac, 1986, 237 p.
Ce roman s’est mérité une critique dévastatrice dans Le Devoir – sans qu’il y soit jamais mentionné que l’argument de base le rattache à la SF, cependant. Et pourtant : le Québec a été le terrain d’un échange nucléaire limité entre les deux super-puissances ; c’est maintenant un laboratoire de recherches en grandeur réelle sur les suites d’une telle attaque, suites sociales, psychologiques et physiologiques, (il semble y avoir en particulier plusieurs sortes de mutants, même si le mot n’est jamais écrit). Trois personnages (dont deux narrateurs en JE) racontent en tryptique trois histoires qui n’en font peut-être bien qu’une seule : un concierge pervers, écrivain raté, un technicien des forces d’occupation, et Jeanne, la directrice de la collection « Fictions & Témoignages » aux Éditions d’État. Le lien entre ces trois récits est constitué par des manuscrits – le journal du concierge et celui du technicien, apparemment – qui se retrouvent entre les mains de Jeanne. Tout ceci n’est en fait qu’un prétexte à littérature, et je devrais dire Littérature : interrogations sur l’écriture, l’intertextualité, le rapport fiction/réalité, jeux avec les styles, les techniques de narration, les aises en abyme… et allez donc !… Le critique du Devoir (l’inénarrable S. Lépine), évoque Umberto Eco, universitaire mondialement respecté et sa première et seule incursion dans la fiction, Le Nom de la rose, pour dire qu’Andrès en est loin. Mais c’est que Eco est passé au travers de la littérature pendant plus de quarante ans pour ressortir de l’autre côté avec une nouvelle innocence, qui lui a permis de jouer le jeu de la fiction. Andrès est encore de ce côté-ci : c’est un jeune-et-brillant-universitaire, et ça se sent. Il est aussi critique littéraire et directeur de Voix et images. Cela explique peut-être aussi l’éreintage en règle que lui a fait subir Lépine : il ne fait pas bon être bien en vue, dans le petit monde littéraireuh québécois, quand on écrit un premier roman.. Mais aussi, Andrès donne les verges pour le battre : c’est bel et bien un ouvrage qui semble terriblement vouloir paraître. Ou bien l’auteur n’a pas réussi à oublier le regard que ses pairs jetteraient sur son livre… Mais il y a plusieurs endroits assez bien venus dans ce « tryptique » pour laisser penser qu’une fois débarrassé de ses coquetteries/contraintes universitaires, lorsqu’il consentira à se laisser aller plus humblement à la fiction, Andrès pourra devenir un écrivain – de SF ou d’autre chose, peu importe.
Élisabeth VONARBURG