Bertrand Bergeron, Parcours improbables (Hy)
Bertrand Bergeron
Parcours improbables
Québec, L’Instant même, 1986, 109 p.
De B. Bergeron, on se rappelle sans doute le fascinant « Jessica », dans Imagitextes 1. Fascinant pour son jeu sur la triple frontière du fantastique, de la SF et de la littérature littératurante. Fascinant parce que ce jeu était réussi, le texte ne se retrouvant pas dans une sorte de limbo entre ces trois catégories, mais bénéficiant de leur synergie, et invitant par là-même le lecteur à de fécondes réflexions sur leur nature respective. Même jeu dans le recueil de 18 brèves nouvelles, où souvent une phrase, voire un seul mot (comme dans « Jessica »), permettent à la lecture de basculer dans le fantastique ou la SF. Sans que ce soit nécessaire aux textes, cependant : le registre de lecture « SF » ou « fantastique » arrive en plus des autres, constituant en quelque sorte une « plus-value ». Ce qui m’apparaît comme un tour de force, après la lecture de La Trouble-Fête, où les éléments SF apparaissent justement comme plaqués, ne parvenant pas à tirer le texte du côté SF J’avais examiné autrefois les relations entre SF et littérature dite « expérimentale » (dans Protée, vol. 10, # 1, 1982, U. du Québec à Chicoutimi), et j’y parlais entre autre d’un seuil à ne pas dépasser pour la SF, d’un dosage à savoir respecter entre écriture « éclatée », par exemple, et narration traditionnelle. Paradoxalement, l’écriture de B. Bergeron est bien plus « éclatée » que celle de Andrès, et pourtant, ses textes me semblent fonctionner bien mieux dans le registre SF (ou fantastique), même si les éléments qui permettent une lecture prospective de ce type sont bien moins canoniques que ceux de Andrès, toujours traités au second, voire au troisième degré (ainsi, le clonage dans « La Place des miroirs », l’accès aux univers parallèles et/ou les mutations dans « Saint Luc sur Nive », des sociétés dystopiques dans « Jessica », « L’Autre Sud », « L’Habitude des néons »…). Il est vrai que ces textes sont très brefs, et s’arrêtent tous avant saturation du lecteur. Et a contrario, un – et un seul – de ces textes ne « fonctionne » pas bien, parce que justement l’éclatement y dépasse le dosage idéal (« Surveillants et d ten s »), publié, quelle coïncidence, dans La Nouvelle Barre du jour, un des bastions du maudernisme au Québec, (le # 79-80, en 1979, spécial SF de célèbre mémoire). En conclusion, un recueil exigeant, mais qui récompense le lecteur, et une première publication qui augure bien de la nouvelle maison d’édition fondée par Gilles Pellerin et consacrée à la nouvelle.
Élisabeth VONARBURG