Pierre Goulet, Contes de feu (Hy)
Contes de feu de Pierre Goulet est un recueil de quatorze nouvelles divisées en cinq parties. Je n’ai pas compris l’utilité de cette structure et l’éditeur aussi, sans doute, qui n’a pas jugé bon de fournir une table des matières. Il omet de nous signaler également que Pierre Goulet a publié en 1980, chez Ferron Éditeur, un roman intitulé Le Temple de Vénus. C’est dans ces petits détails qu’on se rend compte de l’absence d’un directeur littéraire aux éditions Québec/Amérique.
La grande majorité des textes du recueil sont des contes fantastiques, deux ou trois étant des nouvelles de SF. Cette particularité ne confère pas pour autant un semblant d’unité au recueil. Cette absence de lien conducteur, de projet unificateur, joue au détriment du recueil. Cependant, il y a un thème qui revient dans plusieurs nouvelles – généralement les meilleures – et c’est celui du livre. Pierre Goulet affiche une ferveur pour le livre et la littérature qui contribue à en faire un objet sacré. Mais s’il nous montre qu’il s’agit là d’un outil essentiel au développement de l’homme, il nous met en garde aussi contre les faussaires.
Les deux nouvelles de la troisième partie intitulée (A) contes d’auteur sont les meilleures du recueil, à mon avis. Dans « Le Ticket d’immortalité », un jeune écrivain frais émoulu de l’université entre au service d’un important éditeur qui gère l’industrie du livre comme une usine. Tout est classifié, catégorisé par genres littéraires et par sous-genres. Le salaire de l’écrivain est fonction de ses ventes et de ses chances d’atteindre l’immortalité. Le poète aura un salaire de crève-faim parce qu’il a les meilleures chances d’obtenir la célébrité. En revanche, un auteur de littérature populaire aura un bon revenu parce que ses chances d’accéder à l’immortalité sont à peu près nulles.
Goulet expose donc sur un ton humoristique le dilemme auquel fait face l’écrivain : l’argent ou la célébrité. Son personnage, M. Ouellet, se dirige lentement vers le fameux ticket or qui lui garantit qu’il passera à la postérité, après une vie de misère. Sur son lit de mort, il apprend que le système des tickets vient d’être aboli par son syndicat ! Excellente chute et satire féroce sur l’industrie du livre puisque les auteurs de cette maison d’édition ne font qu’appliquer des recette développées par les maîtres du « nouveau roman », du fantastique, du surréalisme, etc.
Pierre Goulet s’en prend aussi à la contrefaçon dans l’autre nouvelle intitulée « Adorable Dora ». Ici, un écrivain raté atteint la notoriété et l’aisance financière quand sa vieille machine à écrire, sur laquelle il avait pris l’habitude de laisser une feuille vierge, se met à composer un roman acclamé par la critique et le public. Mais Pierre est torturé par le remords et humilié aussi du fait que ses manuscrits sont refusés tandis que ceux de sa vieille Dora sont applaudis. Il imagine donc de raconter son usurpation dans son journal personnel mais son éditeur n’en croit rien, refuse son texte et lui conseille de revenir au style qui a fait son succès.
Pierre Goulet se paie ici la tête de l’institution littéraire comme l’a fait Romain Gary en écrivant sous le pseudonyme d’Émile Ajar. Il a des remarques savoureuses comme celle-ci : « Si j’étais friand des courants nouveaux de pensée comme… disons le structuralisme, je n’hésiterais pas à dire que l’écrivain est un prisme et la langue une lumière… » (c’est l’éditeur qui parle).
C’est donc dire que l’auteur de Contes de feu éprouve un sentiment ambivalent envers la littérature puisqu’il est partagé entre son désir de la sacraliser et celui de la démystifier. Il aurait le goût de s’enthousiasmer pour le produit fini mais de dénoncer les méthodes de production. On retrouve cette même ambiguïté dans « Le Dôgui » alors que dans un monde futur, il ne reste plus sur terre qu’un arbre dont les feuilles représentent toutes les pages de tous les livres du monde. Qu’il manque un livre au patrimoine livresque universel parce qu’un dôgui, sorte de chien évolué, a volé une feuille à l’arbre sacré a finalement peu d’importance.
L’image du livre est également centrale dans « Un grand livre noir à la tranche dorée » et démontre à quel point son apparition a modifié l’évolution de l’humanité et peut être considérée à juste titre comme une révolution aussi importante que la découverte du feu. C’est la conclusion qu’il faut tirer, je crois, de cette nouvelle au cours de laquelle un homme, le capitaine Girard, militaire à la base de Valcartier, se rend compte que le paysage se modifie. Illusions d’optique ? Début de schizophrénie ? Non, la Terre a pris la forme d’un livre qui s’apprête à se refermer, image d’apocalypse contenue dans le roman de science-fiction que la femme du capitaine est en train de lire.
Cette contamination de la réalité par la fiction est un bel hommage rendu à la puissance imaginaire en même temps qu’elle perpétue le caractère ambivalent du livre. On ne peut ignorer en effet l’image de fin du monde contenue dans cette nouvelle, comme dans plusieurs autres d’ailleurs. S’il y a une signification au mot « feu » du titre, ce ne peut être que celle de l’apocalypse, évitée, imminente ou avérée. Cette image ouvre et ferme le recueil et constitue sans doute le thème qui rassemble le plus de nouvelles, si l’on considère que la mort de l’individu représente une petite apocalypse en soi.
Dans « La Colère des roses », tous les habitants de la terre ont fui vers la Lune. Tous, sauf le narrateur qui s’apprête à affronter une invasion de roses aux épines meurtrières. On pense ici à un texte de Bernard Noël dans Contes pour un autre œil auquel le recueil de Pierre Goulet s’apparente tout en lui étant supérieur. Le thème de cette nouvelle très quelconque est repris dans le texte suivant, « Derrière le rempart de neige », sans plus de succès.
« L’Orgue de Barbarie », qui clôt le recueil, est sans doute la nouvelle la mieux réussie sur ce thème. Elle adopte le ton de la chronique de village, celui de Saint-Ambroise, réputé au début du siècle jusqu’à la prohibition pour sa tonnellerie. Avec la fermeture de celle-ci, le village se vide de ses habitants. Leurs descendants continuent d’évoquer leur lieu d’origine et de temps en temps, on rapporte que des passants ont entendu l’orgue de l’église.
L’auteur teinte son récit réaliste de petites touches fantastiques en accréditant l’image de village hanté qui s’est peu à peu accolée à Saint-Ambroise. Jusqu’au jour où le fantastique inoffensif, catalyseur de la nostalgie et du souvenir, fait place à l’horreur de l’apocalypse déclenchée par la mise en service de l’orgue par les descendants des habitants du village. Cet orgue commande en effet le système de défense de missiles de tout le continent nord-américain. Le mélange des genres contribue à la réussite de cette nouvelle qui se termine sur les paroles de l’Apocalypse selon saint Jean.
Contes de feu multiplie les avertissements que l’homme est souvent inconscient de la portée des gestes qu’il pose et qu’il est bien peu de choses à l’échelle du cosmos, ainsi que l’exprime clairement : « La Chevelure de Bérénice ». Cette leçon d’humilité passe le plus souvent par l’ironie.
Quelles que soient les prétentions du titre, le recueil de Pierre Goulet ne laisse pas un souvenir incandescent. Plusieurs nouvelles sont banales parce qu’elles exploitent des procédés d’écriture qui ont été utilisés à satiété. Je pense à « Sam » et à « L’Infomane » qui reposent uniquement sur la distorsion du regard, l’objet ou le sujet observé n’étant pas celui qu’on pense. Dans le premier cas, le narrateur, un enfant d’une dizaine d’années, parle de son frère, un handicapé mental, de telle façon qu’on croit qu’il parle de son chien. Dans l’autre cas, la passion d’un homme pour son ordinateur domestique est présentée comme une relation contrariée entre un homme et une femme inaccessible, comme une relation d’esclave à maître.
Finalement, Contes de feu tend à démontrer que l’homme ne contrôle rien : ni la technologie, ni son destin, ni ses sentiments, ni ses pulsions. Et même si cela peut paraître tragique, on ne sent pas, dans le recueil de Pierre Goulet, un climat d’urgence. Comme quoi l’homme, depuis qu’il a découvert que le soleil ne tournait pas autour de la terre, que lui-même n’était pas le centre de la création, a appris à se voir différemment dans la distribution des rôles du spectacle de la vie sous toutes ses formes.
Pierre Goulet a indéniablement des qualités d’écrivain. Il n’est pas à son meilleur dans les textes de SF mais le fantastique quotidien lui convient très bien, surtout quand il fait intervenir l’absurde dans un cadre réaliste avec un humour grinçant qui n’est pas sans évoquer la manière de Gaétan Brulotte. Ne serait-ce que pour les nouvelles remettant en question l’autorité de l’institution littéraire, Contes de feu justifie son existence.
Claude JANELLE