Claude Janelle (dir.), L’Année de la science-fiction et du fantastique québécois 1986
Collectif sous la direction de Claude Janelle
L’Année de la science-fiction et du fantastique québécois 1986
Beauport, Le Passeur, 1987, 280 p.
La SFQ suscite maintenant son bilan annuel, sous forme d’un répertoire critique opulent qui se donne la mission de recenser (et commenter) la production 86. Quelques innovations dans cette livraison. Tout d’abord, la section fictions prend une importance accrue et L’Année consacrera dorénavant une bonne part de ses pages à une mini-anthologie de textes de SF et/ou F. Non content de parler du beau, du bon et du moins bon, elle fera désormais la preuve par l’exemple (en oubliant le moins bon, souhaitons-le). Je reviendrai plus loin sur les nouvelles de cette année. D’autres sections sont remaniées ou coupées, des changements pour la plupart mineurs ; je relève toutefois l’addition d’une analyse globale des événements et nouveaux développement de l’année 86 de la SFQ, qui donne une cohérence plus immédiate à un matériel assez dispersé. Difficile de ne pas se répéter pour le reste : le travail des compilateurs est impressionnant et même rigoureux. On peut s’objecter à tel ou tel opinion, mais le rôle d’un tel ouvrage ne se limite pas à documenter de manière prétendument « objective » les réalités de la SF et du F québécois : il vise aussi à alimenter le débat et la réflexion sur ces littératures. Le « délit d’opinion » est donc de rigueur ; et avouons que lorsque les collaborateurs de L’Année formulent une opinion, ils l’appuient en général sur des bases solides et documentées ; mais je reviendrais sur l’exception majeure à cette règle après avoir parlé des fictions. Qu’il suffise de dire que pour la partie encyclopédique, l’entreprise est exemplaire.
Les fictions relèvent, cette année, du fantastique ; la SF sera à l’honneur l’an prochain. En ouverture, deux textes qui utilisent un motif similaire, celui du sablier comme piège ou prison, bien que le traitement, la pulsion qui anime chacun des textes m’ait semblé bien différente. La nouvelle de Gilles Pellerin reste énigmatique, refuse de livrer son secret ; le lecteur reste finalement aussi piégé que le personnage. Michel Bélil par contre, donne plus d’indices, il laisse deviner, derrière le soufflemot, tout un appareil bureaucratique, une société même ; ce type de reconstruction n’est pas loin des procédés de la SF ; et on peut très bien lire cette nouvelle dans l’optique SF, elle s’y insérerait sans problème je crois. Mais je ne veux pas laisser l’impression que Pellerin est hermétique tandis que Bélil dévoile toutes ses cartes : les deux nouvelles conservent la juste part de mystère et d’inexpliqué qui est à l’origine, pour une grande part, de l’attrait du fantastique.
Autre couple de textes, ceux d’Élisabeth Vonarburg et de Jean Pettigrew, issus dans chaque cas d’événements vécus, sauf pour la partie fantastique (enfin, on est enclin à le supposer). Vonarburg nous offre un récit tout en atmosphère, qui prend le contrepied de l’histoire à chute si courante en fantastique. En effet, le retournement final ne bouscule rien : il complète et ferme le parcours du personnage, dans le même registre feutré. La nouvelle de Pettigrew éveillera des échos chez quiconque a déjà habité une maison grinçante où tout peut se dérégler ; il fait intervenir en finale cette « interdépendance entre l’imaginaire et la réalité, entre l’auteur et sa fiction », tendance que Claude Janelle relève dans une partie de la production 86. L’idée d’une source externe pour l’univers lovecraftien n’est pas neuve et la conclusion entretient la confusion plutôt que le mystère.
Les deux autres textes ne peuvent être appariés. Celui de Colette Coulombe est aussi un morceau d’atmosphère, plus classique, mais fort bien réussi ; l’écriture est sobre et d’une belle facture. On sent que l’auteur pourra faire plus profond et plus solide avec l’expérience.
Daniel Sernine, lui, n’a plus besoin de faire ses preuves ; pourtant, il déclare que la nouvelle publiée ici, « Sur la scène des siècles », participe à un tournant dans son oeuvre. Peut-être. Cadre moderne, élagage massif de sa prose, plus de laissé en suspens et évacuation de la rationalisation outrancière, voilà qui est le bienvenu, on se prend à souhaiter qu’il applique éventuellement cette nouvelle manière à son cadre de prédilection, c’est-à-dire la Nouvelle-France. Quant au texte en question, l’idée du retour éternel des mêmes persona d’acteurs est très intéressante ; mais l’auteur me semble avoir raté le passage crucial où les personnages retrouvent progressivement la mémoire du processus de « réincarnation », en ce qu’ils ne réagissent pas en comédiens. Non pas que j’aurais aimé des débordements hystériques, mais l’auteur aurait pu creuser l’aspect des spéculations d’ordre professionnel. Ma très modeste expérience des planches me permet de croire qu’un comédien apprenant qu’il rejoue sans cesse sur diverses scènes depuis l’Antiquité serait beaucoup plus troublé, en même temps que s’ouvriraient à lui des champs de réflexion excitants ; j’oserais presque dire que l’auteur a raté le vrai sujet de sa nouvelle, mais je n’aurai pas cette présomption.
Dans l’ensemble somme toute, un bon bloc de fictions, qui fait de L’Année 86 l’une des rares anthologies de l’année écoulée, avec les numéros fictions des revues.
Je conclurai sur ma réserve majeure, c’est-à-dire les commentaires de René Beaulieu à l’endroit de Solaris dans les paragraphes qui sont consacrés à notre revue. Je précise tout de suite que je ne désire pas contester leur droit à critique ; de plus, leurs remarques sont plus que valides dans l’ensemble. Je crois simplement que les responsables de L’Année ont une conception erronée de Solaris. Nous ne sommes pas « d’abord un magazine d’information ». La formule est mixte il est vrai, et le partage des secteurs varie d’une livraison à l’autre et même d’une période à l’autre. Mais la mission première de Solaris reste la création, et ce sous ses formes écrites et graphiques, y compris la BD et l’illustration ; pas de sectarisme dans nos pages et la représentation du travail graphique restera toujours importante, bien qu’elle puisse fluctuer (nec mergitur) au gré des numéros, ce qui se produit aussi avec la fiction. Il semble toutefois que ces formes d’expression ne trouvent pas grâce aux yeux de ces messieurs de L’Année, bien plus encore, on nous reproche d’avoir publié dans deux numéros les scénarios des lauréats du Prix Solaris 86 volet BD, sous prétexte qu’un « magazine d’information » n’en est pas le lieu, c’est là une vision assez réductionniste de Solaris et qui fait preuve d’un vision très limitée, encore trop fréquente chez les littérateurs à l’endroit de ce qui sort de la forme simplement écrite. Et malgré qu’il soit écrit « Pomerleau a décidé de publier le scénario… », je me dois de décevoir l’auteur de ces lignes : malgré tous mes efforts, Solaris n’est pas encore une dictature et cette décision fut collective, bien que l’idée soit effectivement venue de moi. D’ailleurs, le rédacteur en chef de L’Année était encore membre de notre collectif à l’époque et il aurait dû rattraper ces faux-pas à la relecture.
Mais ce ne sont là que des réserves personnelles, ou à disons sectorielles. Les qualités d’ensemble de l’ouvrage en font un outil essentiel, que tout amateur de SF et chercheur dans le domaine se doit de posséder.
Luc POMERLEAU