Micheline La France, Le Fils d’Ariane (Hy)
Micheline La France
Le Fils d’Ariane
Montréal, La Pleine Lune, 1986, 148 p.
Il est toujours très stimulant de traiter un recueil de nouvelles, d’abord à cause du nombre de celles-ci – on a l’impression de lire plusieurs petits romans en un bouquin – et à cause de la brièveté des textes. La nouvelle doit pouvoir construire en peu de lignes, avec précision et concision, une histoire complète en elle-même, de telle sorte qu’idéalement on ne puisse rajouter ni retrancher quoi que ce soit, et doit divertir son lecteur et faire en sorte qu’il en retire une satisfaction complète. L’essentiel a été dit et le reste, se laisse dire entre les lignes. Rien ne se perd, rien ne crée, tout n’est que transposition.
Qu’en est-il de Micheline La France et de son livre Le Fils d’Ariane ? Sur onze nouvelles, six touchent à l’insolite, porte d’entrée du fantastique. Elles ont comme point de départ la réalité quotidienne qui dérive et « distorsionne » au cours du récit. Les autres nouvelles jouent tantôt sur une intrigue policière, tantôt sur un drame humain dans lesquels la solitude, l’angoisse et les relations homme-femme sont bien exprimées.
La force de Micheline La France est de savoir adapter son rythme et son style polyvalent aux différents genres et atmosphères qu’elle crée, lyrique et profonde lorsqu’il s’agit de sentiments comme dans « Inventaire », rapide et saccadée pour traduire l’action. Quant à l’insolite…
Sous sa plume, tout tourne en dérision. L’auteure flirte parfois avec les clichés à tendance moralisatrice du genre : « Curieusement, dès nos premières relations sexuelles, le phénomène auquel j’étais soumis cessa complètement ses manifestations. L’amour faisait de moi un être normal » (p. 142). Très heureuse pour le personnage !
Mais là où elle aurait pu en donner une interprétation ésotérique, elle récupère, par ignorance ou par vertu, l’attitude judéo-chrétienne des siècles passés. De plus, certains personnages paraissent presque caricaturaux ou encore servent d’archétypes : Nicolas Bertrand le « La Nuit des étoiles filantes », celui-là même dont le sourire s’imprime sur les briques d’un immeuble, verse dans les pouvoirs para-psychiques.
Les thèmes plutôt classiques, transfert de personnalités et dérive temporelle (« Imposture » et particulièrement « Le Fils d’Ariane »), matérialisation temporaire de la femme aimée (« L’Île de la douce »), incorporation d’un esprit humain dans un ordinateur (« Rouge Novembre »), sont traités de façon non moins classique, évitant farouchement l’effet de surprise et décourageant toute implication personnelle du lecteur en retenant son imagination au sol par une narration trop descriptive et distanciée. Effet volontaire de l’auteure ou essai de modernité dans l’écriture, le résultat reste le même, le lecteur quant à lui reste sur sa faim.
Les fins de paragraphes et d’histoires d’ailleurs projettent sur le récit une douche d’eau froide, laissant dériver les débris de l’histoire élaborée et renvoient le lecteur à ses bottines mal attachées, au pain qui, après avoir servi d’arme, « n’a subi aucun dommage ».
Finalement, la partie la plus valable du livre serait, à mon avis, les nouvelles non fantastiques où l’auteure rend fidèlement un certain quotidien et dans lesquels elle développe habilement une atmosphère trouble, plutôt que dans les textes insolites où, de par la nature même du genre et des thèmes abordés, tout bascule, ce qui était force devient faiblesse.
Louise SAINT-PIERRE