Norbert Spehner, Écrits sur le fantastique
Norbert Spehner
Écrits sur le fantastique
Bibliographie analytique des études et essais sur le fantastique publiés entre 1900 et 1985 (Littérature/Cinéma/Art fantastique)
Longueuil, Le Préambule, 1986, 352 p.
Norbert Spehner, bien connu dans le milieu et ici même à Solaris, vient de faire paraître un ouvrage de référence qui fera date. Dix ans après son mémoire sur les études en littérature fantastique, il reprend, approfondit et amplifie le champ de se recherche en recensant près de deux milles études et essais sur le fantastique en littérature, dans les arts et au cinéma.
Entreprise titanesque s’il en est, l’établissement d’une bibliographie confronte le chercheur à un problème majeur : sélectivité ou exhaustivité ? Spehner a opté pour la sélection, sur une base qualitative. Ce critère fort légitime apparaît cependant un peu aléatoire dans le cas d’ouvrages en langues étrangères (anglais, allemand, mais aussi roumain, portugais, hollandais, etc.), d’autant que, l’auteur le reconnaît, certains de ces articles n’ont pu être consultés. Toute compilation ne serait-elle pas une impossible recherche de l’absolu ? C’est précisément par ce titre balzacien que Spehner ouvre sa préface. S’il montre bien la difficulté/impossibilité(?) de définir le fantastique, il n’en propose pas moins une courte fiction où sont mis en abyme les invariants connus de cette forme littéraire. Par ailleurs, tout en convoquant les discours des plus grands chantres critiques, sa synthèse propose de nouvelles pistes de recherches. Ainsi des rapports du genre avec les codes socio-culturels. Notons toutefois que, dès 1973, Roland Barthes, avais mis en évidence chez Poe le désir d’observer scientifiquement le surnaturel dans une période positiviste du savoir1. De même, Irène Bessière (recensée, elle, par Spehner) avait déterminé dans son Récit fantastique les liens socio-littéraires du genre. Il est vrai qu’encore aujourd’hui, les travaux doivent être poussés dans ce sens, car depuis le XVIIIe siècle, le fantastique aime à interroger le pouvoir cognitif de l’homme2.
Dans la première partie de l’ouvrage, Spehner répertorie les principaux numéros spéciaux de périodiques, des ouvrages ou articles théoriques, thématiques, ainsi que des thèses inédites. Dans cette compilation, les plus grands noms de la critique (Caillois, Milner, Lévy pour ne citer qu’eux) en côtoient d’autres plus obscurs, mais qui oeuvrent dans cette même quête d’un discours au sens fuyant. Pour répondre aux voeux de l’auteur concernant la mise à jour de sa prochaine édition, signalons-lui le Que Sais-je ? de Mannoni sur La Peur, Le Matin des magiciens de Pauwels-Bergier, ainsi que dans une certaine mesure. Les Pouvoirs de l’horreur de Kristeva.
Diverses références sont accompagnées d’un commentaire descriptif et parfois analytique. Avouons que nous aurions aimé que ce dernier aspect soit plus développé. En outre, certains jugements de valeur non dénués d’ironie lancent quelques pointes vers la recherche institutionnelle. Ainsi l’Introduction à la littérature fantastique de Todorov est présentée comme « une sorte de bible pour universitaires ». Ailleurs, une importance déterminante est accordée à La Séduction de l’étrange de Louis Vax (« un des meilleurs ouvrages sur le fantastique ») ou encore à La Littérature fantastique en France de Schneider (« ouvrage majeur, étude historique exemplaire et inégalée »). Si de tels textes sont en effet incontournables du point de vue historique, il n’en demeure pas moins que les recherches plus récentes de Finné ou Bessière s’avèrent capitales pour une théorisation du genre. Or, pour eux, point de termes élogieux. L’ouvrage de Spehner inscrirait-il en creux la scission entre amateurs et universitaires ?
Une autre section abordre les ouvrages d’art (37 ouvrages et articles sont recensés). Quels critères ont guidé l’auteur ? Pourquoi répertorier Le Moyen-âge fantastique de Baltrusaitis (1955), plutôt que son essai sur La Légende des formes (1983)3 La seule présence du lexème fantastique ? Pourquoi ne pas avoir signalé La Peinture fantastique : de Jérôme Bosch à Salvador Dali de William Gaunt4 ?
La deuxième partie aborde un millier d’études sur des écrivains du fantastique. Le panorama est plus que vaste, mais là encore peu d’analyse. À titre indicatif, il faudrait ajouter sur Poe l’article décisif de Barthes mentionné plus haut ; sur Maupassant, l’ouvrage de Nafissa Schasch5 et l’excellente analyse que Shishana Felman fait du Tour d’écrou d’Henry James6.
On l’aura compris, les quelques remarques que je viens de formuler dans une trop brève recension ne diminuent nullement l’importance de cette somme de Spehner, qui devient désormais la référence dans son domaine. Amateurs spécialistes : à vos fiches !
Patricia WILLEMIN