Camille Bouchard, Les Griffes de l’empire (SF)
Camille Bouchard
Les Griffes de l’empire
Montréal, Pierre Tisseyre (Conquêtes), 1986, 159 p.
Qébal, mercenaire, est engagé par l’androïde Serval pour kidnapper l’artiste Vérati, protégé du roi Kasbar (un samoyède) de Stilde, qui aime les créateurs et veut propager comme une nouvelle foi son amour de la créativité. Qébal accomplit sa mission, au prix d’un accident qui le laisse infirme. Il découvre que c’est Vérati qui avait organisé son propre enlèvement, et apprend que la planète où il l’a aidé à se réfugier est la Terre. Il y apprendra aussi que l’homme a jadis dominé toutes les espèces mais a été supplanté par les animaux, en particulier les chiens, qu’il avait génétiquement modifiés. C’est leur empire, morcellé en royautés rivales, qui englobe maintenant les galaxies ; l’homme n’y est qu’un paria.
Vérati, arrivé sur Terre durant un concile, est pris pour le Rédempteur des prophéties, qui relèvera l’humanité de son humiliation et brisera sa servitude. Mais, sans le savoir, il n’est que le pion de Serval, qui lui-même s’avère être en fait la diablesse Mesma (une guenon), mage à la cour de Kasbar et que l’on croyait morte, mais qui par le mensonge et la ruse avait provoqué la guerre entre Mendélé et Stilde. Elle veut profiter du chaos pour conquérir l’univers à la tête d’une armée de robots, afin de rendre à l’homme sa suprématie.
Compliqué ?
Je ne vous ai résumé qu’une partie de l’intrigue et j’ai pu le faire seulement en relisant certains passages. Les « complots dans un complot » abondent et rappellent, en moins raffinés, ceux des séries Dune et Fondation.
Avec sa foison de personnages, dont l’un se dissimule sous une superposition d’identités secrètes ; avec la diversité des royaumes et de leurs alliances, avec la fréquente référence à des événements antérieurs, le roman Les Griffes de l’empire est d’une complexité qui, je crois, le met hors de la portée des jeunes lecteurs de douze ou treize ans (la mention de la couverture arrière le destine aux douze ans et plus). La structure alternée du récit, où les chapitres narrent tour à tour les trois intrigues de base (qui deviennent deux, puis une) concourt largement à la complexité du roman. Des passages comme les disputes à la séance du Conseil des Alignés (tout le chapitre 7), ou l’échange de communiqués de guerre (chapitre 12), sont des plus ardus.
Le style de Camille Bouchard n’est pas encore exempt de maladresses, surtout dans ses descriptions des cours royales, dans son rendu du langage guindé qu’on y parle et, de façon générale, dans le manque de naturel des dialogues et le choix parfois discutable de certains mots. Son usage de longues phrases très construites révèle qu’il n’avait pas en tête un jeune public lorsqu’il a écrit le roman ; les phrases de six ou sept lignes ne sont pas rares dans ce livre. On y trouve toutefois de belles images, comme celles où les néologismes sont forgés à partir d’éléments français, mais ce n’est pas employé avec mesure.
La célèbre « scène du bar » de Star Wars a fait de nombreux petits : souvent imitée au cinéma, la voilà qui ouvre le roman Les Griffes de l’empire. Dès le premier chapitre, plusieurs éléments du « space opéra » traditionnel sont mis en place : mercenaire bougon et méfiant, femme court-vêtue en détresse, rescousse providentielle, arme à rayon (ici nommée « uraniseur »), dieux et mondes aux non » exotiques cités surtout en jurons ou en locutions. Les grandes manoeuvres spatiales, les conspirations, les armes vite dégainées et l’évocation occasionnelle de la magie viendront compléter le tableau. Les extraterrestres sont ici remplacés par les descendants civilisés de diverses espèces animales terriennes, dont l’origine, expliquée vers la fin du roman, évoque les hommes-animaux esclaves de Cordvainer Smith.
Camille Bouchard a fait ses classes SF : à tout moment les analogies s’imposent au lecteur adulte, analogies qui toutefois ne gêneront pas le jeune lecteur. Et, si on peut déplorer l’emprunt de sa ceinture antigravité au baron Harkonen de Dune, du moins doit on saluer dans Les Griffes de l’empire un scénario doté d’envergure. Avec ce roman, le jeune lecteur en aura autant « pour son argent » qu’avec un Livre dont vous êtes le héros, et, comme dans les livres interactifs, il lui faudra plus d’une lecture pour s’y retrouver…
Alain LORTIE