Clément Fontaine, Merveilles au pays d’Alice (Fa)
Clément Fontaine
Merveilles au pays d’Alice
Montréal, Pierre Tisseyre (Conquêtes #21), 1992, 127 p.
Alors qu’elle a failli se noyer, la jeune Célia a vécu une expérience de désincarnation (oui, oui, avec la lumière vive qui l’aspire au bout du tunnel – Clément Fontaine est très au fait des dernières théories en la matière). Cette expérience « d’après vie » permet à Célia d’apercevoir, dans l’Au-delà, Charles Oddsong, un pensionnaire britannique que sa mère et elle ont hébergé dans leur bed and breakfast d’Ottawa, et qui a mystérieusement disparu quelques temps auparavant. Consultée par la mère de Célia, la psychologue Bilodeau suggère l’hypnose afin d’éclaircir le mystère.
Que j’étais réticente à entreprendre la lecture de ce roman ! D’abord, parce qu’on peut lire sur la jaquette de la couverture que Clément Fontaine écrit « pour les jeunes de 12 à 112 ans », annonce qui laisse sous-entendre, généralement, que l’auteur a écrit un machin qu’aucun éditeur « grand public » n’accepte de publier. Ensuite, le lecteur a droit à un avant-propos où l’auteur prévient que cette histoire est vraie, qu’elle lui a été rapportée dans les circonstances que l’on verra. Moi, après ce genre de préambule, je me méfie. Eh bien, mes craintes se sont avérées non fondées. Cet amusant roman possède une intrigue sinon enlevante, du moins assez captivante pour donner envie de tout lire d’un trait. Et c’est effectivement un livre qui peut plaire au lecteur adulte. Plaira-t-il aux ados, ça, c’est une autre question. Le type de personnages exploité à deux reprises par l’auteur, Oddsong (un prof d’Oxford) et la psy Bilodeau, se prête bien au style conférence, à de longs monologues où l’un et l’autre expliquent leurs théories sur la réincarnation, l’après-vie et le voyage temporel.
Car voyage temporel il y a. En tant que lectrice adulte, j’ai saisi les nombreux indices tout au long du roman, sans que cela ne nuise à ma lecture. Au contraire, j’avais hâte de connaître la véritable identité de Charles Oddsong et sa provenance réelle, que je devinais proche de l’époque victorienne (certains férus d’Alice aux pays des merveilles auront déjà deviné). Merveilles au pays d’Alice a évoqué tout du long, pour moi, deux « classiques » du voyage temporel : le film Times after time dans lequel, on s’en souvient, H.G. Wells court derrière Jack l’Éventreur, et le roman Bid Time return, de Richard Matheson, que j’avais lu en traduction dans Présence du Futur (Le Jeune Homme, la mort et le temps). Dans Merveilles au pays d’Alice, Oddsong voyage sans quincaillerie, d’une manière proche de celle du Richard Collier de Matheson. Cet aspect n’est jamais expliqué (comment Oddsong a-t-il retracé Célia ?), ce qui laisse planer un certain mystère même après qu’on ait terminé la lecture.
Merveilles au pays d’Alice, c’est un roman très moderne, avec mère monoparentale (veuve), travaillant comme traductrice pour le gouvernement fédéral (il est question de prototypes d’avion) ; les problèmes linguistiques du Canada y sont évoqués. Clément Fontaine est-il amateur de BD, sont-ce ses propres goûts qu’il nous fait découvrir ? L’un des indices de voyage temporel nous est donné lorsque Célia traduit Le Piège diabolique, une aventure de Blake et Mortimer, au profit du mystérieux monsieur Oddsong.
Je précise, au cas où vous en douteriez, que mes impressions de Merveilles au pays d’Alice sont plutôt positives.
J’ai bien froncé les sourcils lorsque l’auteur utilise le terme « menottes » (p. 34) pour désigner les mains d’une fille de 10 ans. Les filles de cet âge que je connais n’aimeraient guère s’entendre demander : « Donne ta menotte ! » C’est d’autant plus agaçant qu’ailleurs Célia réagit avec une maturité d’adulte (voir l’épisode des « biscuits vampirisés »). Mais ce sont là des détails qui ne doivent pas faire oublier que cette œuvre se laisse lire sans effort. Espérons seulement que les lecteurs de 12 ans apprécieront cette jolie histoire autant que leurs aînés.
Francine PELLETIER