Collectif, L’Horreur est humaine (Hy)
Collectif
L’Horreur est humaine (onze récits d’angoisse, d’épouvante et d’humour noir)
Québec, Le Palindrome, 1989, 254 p.
On sait que le fantastique horrifique ne constitue qu’un corpus plutôt maigre dans la SFFQ, dans la mesure même où peu d’écrivains se consacrent entièrement à ce genre. Plus souvent est-ce par dilettantisme qu’ils commettent des textes auxquels président la perversion et la terreur, privilégiant la forme de la nouvelle à celle du roman. Voilà que Le Palindrome publie un recueil de nouvelles horrifiques, permettant de tâter le pouls de la littérature québécoise d’horreur actuelle.
De l’ensemble des onze récits, composés par cinq auteurs, se dégage la nette tentative de remonter le cours angoissant des hantises de l’être, jusqu’à ses régions intimes et taboues, où il n’est possible d’accéder qu’après le franchissement de la limite du mal. Il en résulte ici moins un excès de violence ou des spectacles sanguinolents, qu’un travail minutieux pour établir une tension ascendante. Les adeptes d’épouvante y trouveront peut-être leur compte ; pour ma part, plutôt que la terreur, c’est l’impatience et l’ennui qui ébranlèrent mon système nerveux. La plupart des récits ne visent qu’à générer un type d’émotion, et rien ici ne dépasse le stade de la peur ou de la cruauté. Comme si l’histoire d’horreur était incompatible avec l’émotion poétique, avec l’allégorie. Je m’en voudrais de ne pas souligner les créations de Stanley Péan et de Nando Michaud, qui nous livrent les meilleurs textes. « La Faim justifie les moyens » de Péan se présente comme le récit d’un attachement troublant entre une femme et son agresseur qui revêt sporadiquement la peau d’un loup-garou affamé. Péan, grâce à un style élégant et simple, à des dialogues habiles, réussit à nous rendre attachant cet Haïtien sur lequel pèse le poids d’un sortilège maléfique. Mais il pénètre avec plus d’acuité les tourments de Richard Martin, personnage de la nouvelle « Le Cabinet du docteur K » hanté par son amour cauchemardesque pour une femme inconnue. Chez Péan, les artifices horrifiques sont d’autant moins imposants qu’ils doivent leur efficacité à un approfondissement psychologique.
Nando Michaud ne manque pas d’humour noir. Il signe deux nouvelles donnant dans le burlesque le plus déroutant, pimentées de commentaires humoristiques qui viennent désamorcer le tragique des histoires. « Tranche de vie découpée dans la mortadelle de l’angoisse » et « Mariage d’oraison » surprennent le lecteur par ce ton léger qui détonne avec tout le reste du recueil et par des conclusions pour une fois satisfaisantes. L’écriture de Michaud est entraînante, parodique, et aborde la littérature horrifiante par un biais rafraîchissant, en ce qu’elle sait allier rire et dégoût. Elle constitue sans nul doute un des meilleurs moments de l’ouvrage.
Pour le reste, ça se gâte un peu. Les nouvelles de Jean Désy, de Jean Pettigrew et de Christiane Lahaie manquent de relief, semblent se confondre dans un tout indistinct, livrent une écriture qui, sans être désagréable, ne charme guère le lecteur. Bref, j’en dirai peu de choses, sinon qu’il est difficile d’écarter un sentiment de piétinement, sensation qui tient à l’unique souci de terrifier le lecteur, comme si le reste ne comptait plus. À la limite, la nouvelle « Le Buck » de Jean Désy passe toujours, une atmosphère étouffante y est rendue avec une certaine efficacité. Par contre, le recueil n’aurait pas souffert de l’absence des deux courts textes de Pettigrew qui ne mènent strictement nulle part, pas plus qu’il n’aurait été regrettable de laisser au fond d’un tiroir les deux nouvelles, tristement ennuyantes, de Christiane Lahaie.
Fabien MÉNARD