Collectif, Planéria (SF)
Planéria
Montréal, Pierre Tisseyre (Conquêtes), 1985, 191 p.
Couverture de Charles Vinh, illustrations intérieures de André Côté, Mario Giguère, Olivier Morissette, Jean-Pierre Normand.
L’idée de présenter à des lecteurs adolescents quatre nouvelles de science-fiction écrites par autant d’auteurs est très intéressante. Un tel collectif sert en quelque sorte de vitrine pour les écrivains qui y participent et les lecteurs peuvent ainsi faire connaissance avec l’univers imaginaire de plusieurs auteurs en même temps. À cet égard, Planéria, anthologie dirigée par Robert Soulières, atteint son objectif. Les quatre nouvelles sont très différentes l’une de l’autre, autant par leur imaginaire que par leur choix narratif.
On pourrait applaudir à cet éclectisme si la qualité allait de paire. Or, seule la nouvelle de Francine Pelletier, « L’Enfant d’Asterman », atteint ce standard de qualité qu’on est en droit d’exiger en littérature de jeunesse. Cela est d’autant plus étonnant que cette auteure en est à son premier texte pour jeunes. Est-ce que les autres, qui sont spécialisés dans ce créneau littéraire (Denis Côté, Daniel Sernine et Marie-Andrée Warnant-Côté), ne seraient pas victimes de la connaissance de leur public et n’auraient pas tendance à verser dans la facilité ? Cela me semble particulièrement vrai pour les deux derniers.
Le problème ne vient pas nécessairement de l’âge des personnages principaux. Ceux de Côté et de Warnant-Côté sont de jeunes adultes, l’héroïne de Pelletier a seize ans et le héros de Sernine est un adolescent de treize ans. Donc, encore là, le lecteur se trouve devant un éventail assez intéressant de comportements différents. Mais qu’est-ce qui fait que l’adolescente de Francine Pelletier est crédible et que l’adolescent de Sernine ne passe pas, alors qu’ils s’opposent à leurs parents pour conquérir leur autonomie ? L’écriture, sans doute, car à première vue, les actes d’insoumission et de révolte de Magdaléna peuvent sembler aussi puérils que ceux de Claudien.
Dans le texte de Sernine les situations se répètent, un peu mécaniquement, selon un scénario immuable : Claudien prend le métro, Claudien se débarrasse de sa ceinture-signal, Claudien s’évade dans un univers imaginaire. L’auteur aurait avantage à utiliser l’ellipse afin de conserver l’attention du lecteur. Il prend trop de détours pour l’amener à ce qui est vraiment intéressant, soit sur la planète Lumière où vivent des êtres mi-hommes mi-oiseaux parés d’un plumage multicolore.
Là, le goût prononcé de Sernine pour les descriptions de paysages s’exprime pleinement. Cette exaltation de l’harmonie et de la beauté s’accompagne d’une leçon de générosité et de partage. En effet, Claudien déplore la retenue de ces êtres qui limitent leurs déplacements aériens afin de conserver pour eux-mêmes la richesse du coloris de leur plumage. Ils privent ainsi les autres de la beauté sans comprendre que leurs regards ne les dépossèdent en rien.
Cet univers s’oppose évidemment au monde froid et répressif dans lequel étouffe Claudien avec ses aspirations à l’autonomie. Le problème principal de cette société industrielle de la fin du vingtième siècle est celui du chômage, qui atteint un taux de 25 %. Sernine traduit très bien les préoccupations actuelles des jeunes qui entrevoient l’avenir avec angoisse face aux perspectives limitées de travail. Cette perspicacité et la générosité de l’univers imaginaire qu’il dépeint constituent des points d’intérêt que la construction de la nouvelle ne sert pas au mieux.
« L’Enfant d’Asterman » cerne mieux la motivation de Magdaléna. L’écriture fouille la psychologie des personnages avec application et justesse. Léna cherche à se réaliser par elle-même, sans l’aide de sa mère. Il suffit que sa mère l’incite à choisir telle profession pour qu’elle s’en éloigne. Finalement, elle optera pour l’art environnementaliste et ira parfaire sa technique à Madox Mines, une colonie située près de Jupiter. Elle préfère un maître méconnu à l’enseignement du célèbre Barron afin de conserver son identité d’artiste et ne subir l’influence d’aucune vedette. Les relations entre Léna et sa mère apparaissent ici beaucoup plus franches et amicales que les rapports de Claudien avec ses parents. Ceux-ci veulent tellement son bien qu’ils le surprotègent.
Denis Côté ramène, dans « Catégorie d’étrangeté numéro 7 », le personnage d’André Jacek qu’il avait créé dans son roman Les Parallèles célestes (qui vient d’ailleurs d’être réédité chez Hurtubise HMH avec une nouvelle couverture). L’auteur développe sensiblement la même théorie, à savoir que les extra-terrestres n’existent peut-être que dans notre inconscient collectif. L’histoire qu’il raconte ressemble étrangement aux cas célèbres en psychanalyse que Sigmund Freud a analysés dans Psychopathie de la vie quotidienne. Lise Carrier n’a pas réellement vécu les événements qu’elle rapporte. C’est plutôt son inconscient qui a choisi ce moyen pour l’avertir qu’elle avait une tumeur au cerveau.
L’action ne languit pas, l’auteur faisant un usage abondant du dialogue. Ça me fait penser à l’efficacité du style d’Henri Verne : de la bonne littérature populaire. Néanmoins, on s’attend à plus de la part de Denis Côté parce qu’on sait qu’il peut faire mieux. Et puis, il y a cette histoire d’amour entre Julian et Catherine qui est tout à fait superflue.
Que penser alors de la nouvelle de Marie-Andrée Warnant-Côté, « Sous Bételgeuse, la rouge » ? Elle relève d’une conception de la SF qui s’alimente davantage au courant de la littérature sentimentale qu’au courant scientifique. C’est l’histoire d’une princesse qui doit épouser l’héritier d’Ultramar afin de sceller la nouvelle alliance entre cette planète et S’htal, quatrième planète d’Aldébaran.
L’auteure prouve qu’il ne suffit pas de posséder quelques notions d’astronomie pour réussir une nouvelle de SF. Dans un registre semblable, Jean-François Somcynsky réussit à conférer à ses histoires d’amour une portée universelle qui transcende l’anecdote sentimentale. Rien de tel ici. Tout m’a semblé prévisible et conventionnel : la facture du récit, le comportement des personnages, le « happy end » triomphal, un certain manichéisme des situations. Se donner tant de mal avec les noms de personnages (B’eljyie, C’imye, F’aktou) et choisir « Ultramar »…
Je crains que ce conte de fée pour enfants n’« embarque » pas les lecteurs de onze ans et plus à qui cette anthologie s’adresse.
Claude JANELLE