Denis Côté, Hockeyeurs cybernétiques (SF)
Denis Côté
Hockeyeurs cybernétiques
Montréal, Paulines (Jeunesse-Pop, no 48), 1983, 115 p.
Heureuse surprise du côté des éditions Paulines : Hockeyeurs cybernétiques tranche agréablement sur l’ensemble de la production québécoise en SF pour jeunes. Jusque il y a quelques années, des auteurs comme Monique Corriveau ou Suzanne Martel, par la qualité de leur écriture, avaient dominé une production assez parcimonieuse en imposant un « genre » : une SF que je qualifierais de « pastel », édifiante et sans grande envergure dans l’imaginaire. On pouvait attendre plus d’imagination du côté de jeunes auteurs publiés dans l’Actuelle-Jeunesse et aux éditions Paulines, mais une écriture très moyenne les servait mal. Avec Sernine d’une part, et d’autre part des romans comme Chansons pour un ordinateur et La Dépression de l’ordinateur, la qualité de l’écriture s’est améliorée et les thèmes ont connu une mise à jour. Mais Hockeyeurs cybernétiques apporte un souffle véritablement nouveau à la SFQ pour jeunes. Voilà une oeuvre qui s’inscrit résolument dans la vague SF incarnée par les films récents. Par de fréquentes références au cinéma, d’ailleurs, Côté s’associe au visuel plutôt que d’employer l’écrit pour lutter et résister contre la civilisation audio-visuelle. Il est regrettable que l’illustration de la couverture ait raté le train. Indéniablement élégante, elle serait plus à sa place au Musée d’Art Contemporain : c’est presque une oeuvre abstraite, où l’on reconnaît deux bâtons de hockey puis, avec de l’attention et un peu d’imagination, un masque de gardien, peut-être des rondelles, une évocation d’amphithéâtre, possiblement de cité et de véhicule aérien, sur un fond de cartes perforées et de pseudo-transistors. L’éditeur a raté une occasion de vendre un bon produit en l’associant visuellement à la mode SF actuelle.
Qu’à cela ne tienne : le roman se rachète de lui-même, et amplement. Au début du vingt-et-unième siècle, des sports comme le hockey sont le seul exutoire au désespoir des populations urbaines, divisées en Actifs et Inactifs. Michel Lenoir, vedette adulée et même adorée (une admiratrice l’implore d’imposer les mains à son enfant infirme), vit isolé et protégé dans le luxe. Il appartient littéralement au propriétaire des Raiders le milliardaire Swindler. Du « sarcophage » qui cache son corps mutilé, Swindler lui demande de prendre part aux « matches du siècle » qui opposeront une équipe humaine à une équipe de hockeyeurs cybernétiques. Ce tournoi oppose en fait l’humanité à un futur robotisé où les populations entières se retrouveraient au chômage. Ce sera, pour Lenoir, l’occasion d’ouvrir les yeux sur les réalités du monde, grâce à la journaliste Virginia Lynx. Avec elle il découvrira une machination occulte, monstrueuse par son ampleur et ses implications.
Narration imagée, écriture excellente et imaginative, nous avons là un roman très vivant, malgré des dialogues un peu trop littéraires. Vivant et visuel : dans le hockey perfectionné du vingt-et-unième siècle, les joueurs en se heurtant produisent véritablement des étincelles, la patinoire est synthétique et verte, la rondelle est phosphorescente, un dôme transparent isole les joueurs de la foule, le gardien de but s’illumine lorsqu’il fait un arrêt, et des spectacles de punk-rock occupent les entractes. On pense immanquablement au film Tron, à l’atmosphère sombre et fébrile des arcades de jeux vidéos. Des références constantes au rock, et l’évocation d’une mode que je qualifierais de « post-punk » rapproche le roman des goûts actuels des jeunes.
Le climat de violence, heureusement désamorcé par l’humour, rappelle un peu les films Rollerball et Soylent Green. C’est du reste, par l’ambiance et la société décrite que le roman se démarque ; il n’aurait pas déparé l’excellente collection Travelling sur le Futur. Avec peut-être un brin de misérabilisme mélo, Côté décrit une société urbaine sordide, écrasée par la pollution et la pauvreté : il y règne une injustice criante que Lenoir, privilégié, découvrira en cours de route. (Au discrédit de l’auteur, on comprend difficilement comment le personnage a pu être si ignorant et aveugle durant si longtemps. Mais sa naïveté est touchante, et efficace pour le récit.
La description de la ville (c’est L.A. rebaptisée Lost Ark), avec ses taxis aériens et cet édifice surnommé « la Forteresse », siège des potentats de la finance, rappelle immanquablement au cinéphile l’inoubliable Blade Runner. Par les images qu’il évoque et les modes très actuelles qu’il exploite, le roman est donc accrocheur et fort efficace. Mais c’est son propos qui compte : par-delà les jeux, les loisirs et la facilité, le jeune Lenoir prend conscience de la société où il vit, se révolte contre l’injustice, l’exploitation et l’hypocrisie. Avec lucidité et réalisme, Denis Côté montre à ses jeunes lecteurs ce que risque d’être la Terre dans vingt ans – et ce qu’elle est déjà en fait. La prise de conscience est le premier pas ; le suivant revient à chaque individu.
Alain LORTIE