Denis Côté, La Pénombre jaune (Fa)
Denis Côté
La Pénombre jaune
Montréal, Paulines (Jeunesse-Pop, 55), 1986.
Les souvenirs filaient dans ma tête, des personnages réapparaissaient, et les pages se succédaient à une allure folle. Voilà ce qu’a déclenché en moi le dernier roman de Denis Côté, La Pénombre jaune. L’auteur a réussi à recréer ici l’atmosphère si spéciale qui régnait dans les Bob Morane originaux, et cet « hommage » à Henri Vernes est captivant à souhait pour le jeune lecteur plongé dans la série ou celui qui, ainsi que moi, se rappelle de Bob Morane comme d’un ami d’enfance.
Malgré un début somme toute assez banal et cliché (il y a une limite aux tours de passe-passe qu’un lecteur peut tolérer, même un jeune), le roman suit une progression qui nous apparaît d’abord sans raison, mais dont la logique nous sera révélée environ à mi-chemin du livre. C’est cette révélation qui fait la force et l’originalité du roman. Henri Vernes (ici, Vernet) lui-même nous l’explique, car Denis Côté l’intègre dans son récit en tant que personnage. Tous les éléments plutôt disparates du roman se rejoignent alors.
Mais avant de vous dévoiler ce secret, je dois vous révéler que Bob Morane existe vraiment ! En effet, il serait le fils d’un ami de Vernes, dont ce dernier aurait emprunté le nom pour son héros. D’ailleurs, dès les premières pages du livre, Morane (ici, Moraine) nous confie qu’il a toujours été hanté par la destinée du personnage littéraire et qu’il est venu au Québec pour tenter d’y échapper. Mais « la Pénombre Jaune » l’y a suivi. Voilà le point de départ d’une aventure aux rebondissements pour le moins nombreux. C’est alors que l’explication d’Henri Vernes entre en jeu. Selon lui, les histoires imaginées par les écrivains existent vraiment, mais dans une autre dimension, qui parfois se manifeste subconsciemment aux écrivains, influençant leurs oeuvres. En effet, toutes les actions du roman à ce moment- là sont identiques à celles décrites dans un manuscrit inédit où Vernet relate la mort de Bob Moraine. À partir de cela, il devra essayer de découvrir un moyen de déjouer les plans de Monsieur Ling, la Pénombre Jaune, qui les attirera dans cet autre univers où il vit, ainsi que Bill Ballantrae et Tania Karloff, deux personnages que Moraine a depuis toujours cherchés. La conclusion que Denis Côté a imaginée est fort astucieuse, et termine bien ce roman très amusant.
Un point dont je n’ai pas parlé est la présence de deux personnes « réelles » aux côtés de Bob Moraine, un homme et une femme éditeurs d’un magazine de science-fiction à Québec. Une différence marquée d’avec l’oeuvre de Vernes, est le rôle actif qu’occupe le personnage féminin dans ce roman, narratrice du récit. En fait, le seul défaut que j’aie pu trouver à La Pénombre jaune est d’avoir situé l’action au Québec, car Vernes nous avait toujours habitués à des décors exotiques, pourvus d’un aspect mystérieux ou fantastique, chose absente du paysage québécois. Enfin, c’est un livre qui plaira sans nul doute aux lecteurs de dix à treize ans, auxquels il est clairement adressé.
Jean-Philippe GERVAIS