Élisabeth Vonarburg, Les Contes de la chatte rouge (Fy)
Élisabeth Vonarburg
Les Contes de la chatte rouge
Montréal, Québec/Amérique (Gulliver Jeunesse), 1993, 255 p.
L’histoire commence simplement : lorsqu’elle découvre une porte magique dans son château, Lila décide de partir à la recherche de sa mère disparue. Cela n’ira pas sans mal, car elle sait qu’il lui faudra affronter la Chatte rouge, une enchanteresse qui s’est emparée de toutes les histoires du royaume.
Les ingrédients sont prometteurs, et nous changent de ce qu’on trouve trop souvent en littérature jeunesse : les personnages sont peu conventionnels, le bon droit n’est pas toujours du côté que l’on croit, il faut savoir se servir de sa tête, et la finale nous offre un conflit moral intéressant.
Quel gâchis, hélas ! Alors qu’elle avait parfaitement réussi son coup avec son conte précédant, Histoire de la princesse et du dragon, Vonarburg présente ici une quête linéaire – au sens propre comme au figuré, puisque Lila se contente de suivre un escalier sans fin. Elle fait bien deux brèves rencontres en chemin, mais celles-ci se déroulent exactement de la même façon, sans trop de surprises. Plutôt maigre pour 250 pages ; on est loin du Lewis Carroll annoncé au dos du livre !
D’ailleurs, même si l’auteure tente d’injecter un peu de vie dans tout cela, on sent que la fillette n’est qu’une coquille vide, et que les dialogues sont « arrangés avec le gars des vues » pour faire passer de longues explications. Lila pose beaucoup de questions, et on lui dit immanquablement de se taire – ce qui devient lassant avant la douzième fois. De toute manière, elle s’assoit si volontiers pour écouter tous et chacune, bien sagement, qu’on en vient à se demander si elle est si pressée de retrouver sa mère…
Quant aux recours à la magie, ils semblent bien arbitraires. Les créatures rencontrées énumèrent toutes sortes de règles régissant ce qu’on peut faire ou non dans un contexte merveilleux, mais on se retrouve à l’occasion avec une déclaration du genre c’est comme ça parce que c’est magique, point à la ligne. Passe encore. Sauf que, dans ce cas, pourquoi s’éreinte-t-on à justifier certains des sortilèges, surtout si la logique interne finit par se contredire ?
Un exemple parmi d’autres : un jour que la Chatte rouge était absente, les étoiles qu’elle avait créées dans le ciel ont été clandestinement reliées les unes aux autres par un fil indécollable. La magicienne est apparemment furieuse de ne pouvoir corriger la situation, mais comme elle possède des ciseaux capables de couper ce fil, on voit mal en quoi elle se sent impuissante.
En fin de compte, on se demande à quel groupe d’âge Vonarburg s’adresse, au juste. Il y a d’une part un ton léger, et même outrancièrement charmant (« le château neuf, lui, était fait de pierre rose, avec de hautes fenêtres à petits carreaux étincelants »), mais d’autre part il y a parfois un jargon inaccessible (« deux pour former le cadre du tissu et une pour passer le fil de chaîne avec la navette dans les fils de trame »). En bout de course, l’auteure réunit les protagonistes pour une conversation de quelques chapitres afin de démêler les détails de l’intrigue, un peu comme font ces fastidieuses conférences à la fin d’un Agatha Christie. C’est beaucoup exiger du jeune public attiré par le style du début ; quant aux onze ans et plus, je doute que la narration enfantine les accroche, ou que son utilisation ironique leur soit évidente.
Mêlez à cela quelques maladresses (« la crinière d’une petite lionne », vraiment ?), ajoutez une curieuse erreur de direction artistique (l’illustration de la couverture arrière n’est pas imprimée dans le bon sens) et on retire l’impression que ce roman a été produit à la sauvette. C’est dommage car, avec un peu d’épuration, ç’aurait pu être chou comme tout.
Charles MONTPETIT