François Benoit, Carcasses (SF)
François Benoit
Carcasses
Montréal, Boréal (Boréal Inter #20), 1992, 174 p.
« Hars observe un vieux hangar, lequel s’en fout éperdument ». Voilà, à quelques lignes près, la façon dont démarre ce roman des plus légers – et qui résume parfaitement son contenu. Si vous insistez, disons qu’il s’agit d’un robot (noir), lequel a tué accidentellement son possesseur (blanc) et qui doit se démerder pour ne pas être recyclé par la « POliq », ainsi que tous ses congénères qui auront été en contact avec lui. La couverture arrière annonce un roman sur la ségrégation. L’auteur, lui, pour être bien sûr que vous aurez compris, recourt aux propos d’un chauffeur de taxi qui en veut aux robots parce qu’ils « viennent voler nos emplois » (p. 141). Mettons que je préférais les replicants de Dick.
Si vous avez rigolé à la lecture de la citation ci-haut, si vous aimez les jeux de mots du type « chut ! chut ! le transiste dort » (p. 53), alors ne lisez pas ce commentaire, lisez plutôt le roman, je suis sûre que l’auteur appréciera. Car il est très présent tout au long du roman, l’auteur, il nous ressert même ce vieux gag de San-Antonio : « chapitre énième », « chapitre énième-et-un », etc. Très présent avec un style tout ce qu’il y a de plus limpide, de l’éclairage au « fluorescent lymphatique » (p. 17) jusqu’aux « tendances ignaciennes »(p. 105) (là, j’ai compris : l’auteur fait référence aux Jésuites). Vous me direz que j’ai été trop agacée par le style san-antonien pour estimer l’intrigue à sa juste valeur. Que voulez-vous, moi, j’aime la SF, celle qui se bâtit sur l’effet de vraisemblance. Or, le monde décrit par François Benoit (Boston 2029, dans 37 ans), n’est pas ce qu’il y a de plus vraisemblable. Pourquoi a-t-on doté les réfrigérateurs d’intelligence ? Pour qu’ils vous servent la confiture à la bonne température ? Le robot culinaire, à la limite, je conçois (quelle joie d’avoir une machine pour faire la cuisine !), mais le frigo… L’auteur aurait pu nous en indiquer l’utilité. Surtout, comme il le dit si bien lui-même en parlant du Culinar, que cette machine si intelligente qu’elle pourrait diriger la ville se voit condamnée à hacher des légumes et pétrir du pain (p. 106). Sans oublier ce curieux « robot botteur », joueur de football. Sans oublier non plus l’Electrolux qui passe un aspirateur en forme de Marilyn Monroe… Je dois être complètement bouchée, je me demande encore : what’s the point ? D’autant plus que dans une société où l’intelligence artificielle est aussi développée, la médecine, elle, demeure telle qu’elle est aujourd’hui parce que, dixit l’auteur, on ne pourrait pas poursuivre un robot en justice pour faute professionnelle ! Et j’aimerais bien aussi qu’un spécialiste en informatique lise ce roman pour m’expliquer pourquoi, lorsque Hars s’apprête à se tuer, « son dossier système ne peut (…) accepter son suicide » (p. 165). Je voudrais aussi comprendre comment le contenu surprenant des banques mémorielles de Hars peut faire exploser un polygraphe (p. 149), même un polygraphe doté d’effaceurs « à l’ultra-violet, résonance magnétique, écriture laser » (p. 149). Pardonnez mon ignorance, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont fait grimacer.
En terminant, je voudrais vous laisser sur cette profonde pensée du personnage de Hars, qui vous donnera sans aucun doute à réfléchir : « L’attachement aux mots anciens est une forme de syndicalisme larvée » (p. 145). Si vous ne pigez pas, vous n’avez qu’à lire le roman – tant pis pour vous.
Francine PELLETIER