Guy Bouchard, Les Gélules utopiques (SF)
Guy Bouchard
Les Gélules utopiques
Montréal, Logiques (Autres mers autres mondes), 1988. 214 p.
Avec ce livre, Guy Bouchard revient sur l’un de ses thèmes de prédilection : l’utopie. Ce sujet, on en voyait déjà des traces dans son premier roman, Vénus via Atlantide, paru en 1961 chez Fides, dans une collection pour jeunes.
Après un long silence dans le domaine de la fiction, on lui doit récemment quelques nouvelles où l’on retrouve des références occasionnelles sur le même propos. Bouchard a publié également quelques essais avant de produire, aux nouvelles Éditions Logiques, ce second roman à l’intitulé intello : Les Gélules utopiques…
Ce volume se destine à une clientèle capable de soutenir des discussions théoriques, voire même philosophiques. Le lecteur, la lectrice de science-fiction peuvent s’habituer relativement aisément à ce type de discours de réflexion, qui abonde dans le bouquin. Le style est alerte, les dialogues même si on se perd parfois sur l’auteur des répliques – s’avèrent fréquents tout en constituant le lieu privilégié des débats cérébraux et la narration, omnisciente, complète ou soutient le raisonnement entrepris.
Mais il n’y a pas que des gloses intellectuelles dans ce texte de Bouchard.
L’aventure étançonne le débit réflexif et consolide le romanesque nécessaire à la réussite du genre. Il y a donc une histoire, romancée, qui agit comme moteur pour fournir de l’action à la théorie.
La romance s’inscrit entre deux personnages principaux : Joseph et Marie Dugré, et un tiers ayant le rôle du savant fou : le Docteur Bélisle. Les deux premiers sont frère et sœur comme chien et chat, et on les voit tout au long du récit en action, en opposition, en délibération, quelque part dans les premières décennies du vingt-et-unième siècle, sur lue d’Orléans.
L’île du chantre Leclerc est devenue alors un monde clos où se déroule une expérience à caractère scientifique et sociologique, expérience pilotée par le Docteur, Jekyll à sa manière, dans un orphelinat – qui n’a d’orphelinat que le nom devenu abri anti-atomique secret et laboratoire de recherches de pointe en génétique.
C’est donc dans ce cadre que le science-fictionnel s’établit. Il y est question de gélules (évidemment), d’androïdes, de télépathes, de cybord (sic) et des relations avec les humains, particulièrement Marie Dugré et (de façon secondaire) les habitants « normaux » de l’île.
C’est là l’essentiel de l’expérience du docteur Bélisle : créer un microcosme où l’on met en contact bio-humains et andro-humains. Et on analyse les réactions ! Mais tout n’est pas sans heurts et le programme utopique du Docteur se voit malmené par Marie, activiste et féministe.
Sans tout révéler du contenu final de l’œuvre et de ses rebondissements, il faut ajouter que Marie fait partie d’une organisation politique appelée GUNE (« La Gynocratie Universelle de la Nouvelle Ère », p. 196), qui conteste la mégalomanie machiste et utopiste du Docteur Bélisle. La contre-utopie de GUNE demeure sommairement décrite mais elle donne l’impression de remplacer un pouvoir identifié comme mâle par un autre, féministe.
Le féminisme est un autre thème dominant de l’œuvre générale de Guy Bouchard. L’auteur l’exploite à nouveau dans Les Gélules utopiques… et cela va de la féminisation revendiquée du vocabulaire à l’engagement tactique dans GUNE, le « seul type d’organisation politique qui puisse empêcher le suicide collectif de l’humanité » (p. 196). Comme on le constate, le programme, à défaut d’être descriptif, ne manque toutefois pas de visées utopistes.
L’auteur, d’autre part, nous réserve quelques revirements de situation vers la (les) fin(s) de son volume. Bouchard s’amuse avec la forme romanesque en tentant de renouveler un peu le genre : nous avons droit à une FIN au chapitre 13, mais le récit se poursuit encore pendant deux autres chapitres. La technique n’est pas neuve mais l’on devient complice du procédé lorsqu’en dernier heu l’auteur nous invite à comprendre « que… les… moyens… jus…ti…fient… la… » (p. 214). Bien sûr, on aura compris l’ellipse !
Le livre de Bouchard reste ouvert On peut s’attendre à une deuxième partie. Tous les éléments nécessaires à une suite sont en place. On peut même présumer que les lettres N et E s’inscriront dans ce second titre, G et U étant du premier intitulé (le résultat final formant évidemment GUNE). Il ne faut pas oublier que le livre Les gélules utopiques… se termine, comme son titre, sur les points de suspension. Il ne resterait, vraisemblablement, qu’à attendre ce Part II pour mieux juger de l’ensemble de l’œuvre.
Georges-Henri CLOUTIER