Madeleine Gaudreault-Labrecque, Sur la piste du dragon… (SF)
Madeleine Gaudreault-Labrecque
Sur la piste du dragon…
Montréal, Hurtubuse HMH (HMH Jeunesse / Les Aventures de Michel Labre), 1986, 2 volumes : 124 p et 119 p.
Une lumière presque aussi vive que le soleil, mais bleutée, fait régner le jour sur la Terre durant une semaine, provoquant entre autres un échauffement des ailes d’avions. Astronomes et météorologues sont perplexes. Michel Labre et son co-pilote Alain Berger décident d’enquêter et croisent à quelques reprises l’intriguant « Pandit », un Oriental qui semble en savoir plus qu’il n’en dit sur ce phénomène. Le premier volume lu, le dragon du titre n’a pas été mentionné une seule fois.
Dans le second volume, l’enquête dévie sur le docteur Achille Tournier, qui faisait pour la Défense Nationale des recherches sur le cerveau humain. Après quelques semaines d’éclipse, le soleil bleuté reparaît, émettant cette fois un occasionnel rayon vert.
Il s’avérera finalement que c’est un immense satellite annulaire, absorbant « de l’énergie terrestre » et des rayons cosmiques, et détruisant les satellites des grandes puissances avec un rayon. C’est cet engin qui est nommé « le Dragon volant ». Le tout a été mis en orbite par une organisation pacifiste et devait rester invisible « derrière des aurores boréales créées à cet effet », mais sa présence sur orbite a été trahie par « un nuage cosmique émanant » d’une supernova.
L’Année de la Science-fiction et du fantastique québécois a prouvé une fois de plus son utilité : cette parution, décembre 1986, nous avait échappé. Il faut dire qu’Hurtubise HMH n’est pas la maison la plus visible, côté promotion.
Voici donc deux volumes, bien écrits mais affligés d’illustrations ineptes. Le texte et la mise en page sont si aérés qu’on se demande pourquoi le roman a été publié en deux tomes. Fondu et resserré un peu, le roman aurait fait un livre de deux cent pages, maximum, à peine plus gros que Les Parallèles célestes de Denis Côté. D’autant plus qu’il y a des pages et des pages de bavardage, de badinage, qui retardent l’action et diluent l’intrigue. Le chapitre 2, par exemple, en est exclusivement constitué. Du reste, supprimez le docteur Achille et sa bague magique en forme de serpent, qui s’avèrent n’être aucunement liés à l’intrigue, et vous obtenez un roman de longueur moyenne.
On constate une ignorance surprenante des règles du récit, chez une auteure qui n’en est pourtant pas à son premier livre : rapportés indirectement, les pensées des personnages sont quand même mises entre guillemets.
Michel Labre, Alain Berger et leurs amis sont les personnages hâbleurs, bavards (à la Henri Vernes), et gesticulateurs en plus, nous précise l’auteure. L’un d’eux, un chercheur en neurologie du cerveau, tient d’ailleurs des monologues pour enseigner aux jeunes lecteurs du roman.
Les défauts de l’oeuvre, et ils sont majeurs, sont l’incapacité de l’auteure à bâtir une intrigue qui se tienne, et le flou total de l’aspect scientifique et technologique. Ainsi, Labre et Berger pilotent un avion apparemment capable de d’arroser lui-même en vol en cas de surchauffe, avec des « extincteurs ».
Quant à l’astronomie, l’auteure en présente une vision qui remonte à Tintin et l’Étoile mystérieuse, avec entre autres une brillante étudiante en astrophysique dont le sujet de thèse est « les phénomènes de l’espace » !
Pour l’auteure, « planète » et « soleil » semblent interchangeables (page 82), et le soleil est composé de carbone. On se demande ce qu’ont raconté à l’auteure les spécialistes (pilote et astronomes) qu’elle a consultés et qu’elle remercie au début de l’oeuvre. Tout le discours scientifique des personnages oscille entre la fausseté et l’imprécision, donnant l’impression que la science contemple de vastes mystères auxquels elle ne peut opposer que de vagues suppositions dont les termes sont interchangeables. « La science, mes amis, il faut l’aider à se découvrir… nous n’en sommes encore qu’au balbutiement » (vol. 2, p. 116). Eh bien non, Madame, la science parle, elle ne balbutie plus. Certes, il lui reste beaucoup à dire et davantage à comprendre. Mais on défait et refait les chaînes spirales d’ADN à la molécule près, les microscopes à effet tunnel montrent les atomes individuels dans des réseaux cristallins, la surface de Mars est cartographiée avec une résolution qui atteint cent mètres par endroits, celle de Vénus l’est avec une résolution de quatre kilomètres bien qu’elle soit invisible pour nos yeux, et on mesure à quinze centimètres près la distance Terre- Lune à l’aide de lasers pouvant émettre des impulsions plus brèves que 10 femtosecondes (1 fs = 0,000 000 000 000 001 seconde). Alors, que tous les astronomes du monde restent dans l’ignorance complète au sujet d’une station spatiale en orbite basse, station visible et lumineuse la moitié du temps, station qu’ils sont à même d’observer durant un mois, non, on n’embarque pas.
La même précarité vaut pour d’autres aspects de l’intrigue. On se demande vraiment pourquoi le directeur d’Air Canada se mêlerait des problèmes de sécurité interne de la Défense nationale et pourquoi il déléguerait des pilotes pour enquêter sur un phénomène astronomique. Quant à la manière d’enquêter de Labre et Berger, elle manque parfois de rigueur, parfois de subtilité ; au long du premier tome, on n’a aucune idée de leur dessein (eux non plus, semble-t-il) puis, quand leur enquête se concentre enfin sur des personnes précises (trouvées par hasard), ils les suivent sans se cacher, les questionnent sans ruse et les accompagnent dans leur repaire. Le comportement des suspects n’est pas beaucoup plus astucieux.
Au total, le scénario est un assemblage, non, une juxtaposition de fil de fer qui ne tiennent que lâchement ensemble, et dont plusieurs n’aboutissent à rien. Une précaire charpente à laquelle l’auteure n’avait pas beaucoup de substance à ajouter et sur laquelle elle aurait bien été incapable de bâtir un roman solide.
Alain LORTIE