Pierre Chatillon, La Vie en fleurs (Hy)
Pierre Chatillon
La Vie en fleurs
Montréal, XYZ (L’Ère nouvelle), 1988, 139 p.
Premier titre d’une collection consacrée à la nouvelle, La Vie en fleurs de Pierre Chatillon séduit le lecteur tant par la finesse de la critique sociale qui y est apportée que par la pureté des émotions exprimées. D’une simplicité désarmante, l’écriture coulante de l’auteur nous entraîne à sa suite dans un délire d’images et de mots qui par moments rappelle Prévert ou les toiles de René Magritte. Pour l’amateur de science-fiction ou de fantastique, les noms auxquels on se réfère sont plutôt ceux de Ray Bradbury ou, plus récemment, de Lisa Goldstein qui, avec son roman The Dream Years, évoque cette anarchie et cette folle fantaisie propres au mouvement surréaliste, caractéristiques que l’on retrouve chez les personnages de Chatillon. Qu’il s’agisse de « Gros Jacquot » qui redécouvre l’amour au mitan de l’âge, ou du vieil Hubert Paradis qui rêve de cette « vie en fleurs » où tout serait si simple et si beau, Chatillon évoque pour nous cette innocence perdue, cette perversion de la nature et de la beauté qui s’est peu à peu emparé de la planète toute entière. À la fois poète et conteur, Pierre Chatillon raconte la liberté, la magie du rêve et, surtout, l’amour. L’amour de l’autre, l’amour de la nature et, plus que toute autre chose, l’amour de la vie.
« L’Affût », la courte nouvelle qui commence le recueil, effleure d’un regard fugitif la vie d’un homme. Une vie comme une autre, aussi fugace que cette journée d’octobre durant laquelle, depuis cinquante ans, l’homme chasse le canard. Seul dans les marais, il répète les mêmes gestes, les mêmes paroles et se rappelle les mêmes souvenirs que l’année précédente. C’est également seule que la mort viendra le chercher, elle-même prisonnière de ses habitudes, de l’ennui d’une saison de chasse qui ne se terminera jamais. Le drame de l’homme n’est plus un fait isolé, mais plutôt l’infime partie d’un ensemble autrement plus vaste qui, pour un bref instant, a croisé notre réalité.
À la fois simple et déroutant, « L’Or » s’inscrit dans une veine nettement plus fantastique. En quête du précieux métal, les personnages de Chatillon basculent dans le rêve, là où navigue le vaisseau d’or de Nelligan, qui, debout à la proue de son navire, récite des vers à longueur de journée, avant de sombrer dans les eaux du lac la nuit venue. D’abord anodin, « L’Or » envoûte peu à peu son lecteur, et se révèle au fil des pages fortement empreint d’un surréalisme « naturiste », particulier à l’écriture de Chatillon.
Également à saveur fantastique, la nouvelle intitulée « La Vie en fleurs » prévoit la « dévolution » du monde, le retour en arrière jusqu’au temps où seules des fleurs couvraient la planète. Le vieil Hubert Paradis, déçu par la vie et dégoûté de la société, entreprend de fleurir sa maison à l’aide de rubans et d’esquisses de fleurs, rejetant du même coup l’amour et l’amitié, notions qui pour lui se sont révélées terriblement vides. À travers ses paroles, Chatillon se fait visionnaire et imagine un nouveau messie, une fleur à la place de sa tête, messager de paix et de bonheur, porteur d’une vérité oubliée depuis trop longtemps par l’être humain. La dénonciation de la société moderne se fait ici cinglante, et Chatillon crie tout haut son désarroi face à la situation actuelle.
« Ouiatchouane », à son tour, nous entraîne au village abandonné de Val-Jalbert, ses rues désertes et ses maisons recouvertes de végétation. Son fantôme, aussi, et sa chute d’eau qui s’écoule au flanc d’une montagne, dans laquelle Aurore Tremblay avait plongée, il y a déjà plus de soixante ans, en apprenant la mort de son bien-aimé. Attiré par le mystère qu’est ce village, Albert Boisvert s’égare peu à peu dans son enchevêtrement de rues, puis, lentement, se révèle à lui cette jeune femme, qu’il est seul à voir et qui lui parle d’amour sous le chaud soleil d’été. Elle lui caresse le visage et lui murmure des mots qu’il ne comprend pas, à propos de la réincarnation des morts, de l’éternité conférée aux fantômes par la noyade. Un récit tout en demi- teintes, où Chatillon laisse libre cours à un romantisme naïf qui séduira le lecteur.
« La Subversion » est un court texte, plutôt amusant, qui a le mérite, pour les besoins de cette critique, d’introduire dans le recueil le seul élément ayant vaguement rapport à la science-fiction. Il s’agit d’une machine à écrire « hantée » (peut-être même vivante, on ne le saura jamais tout à fait), qui transforme les messages les plus banals en vers poétiques, et qui pousse même l’audace jusqu’à inventer de nouveaux termes servant à décrire la nature et les fleurs. Inutile de dire que cette pratique causera certains bouleversements chez l’homme d’affaires qui en a fait l’acquisition…
Enfin, « Les Hirondelles » représente pour moi le plus bel exemple de l’imaginaire surréaliste de Pierre Chatillon. Dans ce merveilleux récit, l’auteur nous met en présence d’un homme qui héberge dans sa bouche un couple d’hirondelles et leurs petits et qui, dans le but de leur recréer un monde nouveau en lui, entreprendra d’aspirer les vagues, la mer et des bribes de ciel, qu’il devra cependant relâcher pour respirer. Superbe réussite, « Les Hirondelles » illustre parfaitement l’atmosphère onirique que sait si bien évoquer Chatillon dans ses textes fantastiques.
Tout compte fait, la part du fantastique proprement dit est plutôt mince, mais cela importe peu car Pierre Chatillon réussit à insuffler aux scènes les plus banales une magie et une fraîcheur presque enfantines qui ne peuvent que séduire le lecteur le plus exigeant. Cri du cœur d’un écologiste passionné ou simple fantaisie surréaliste, La Vie en fleurs charme et inquiète tout à la fois, et représente le travail d’un conteur-né au sommet de sa forme.
Jean-Philippe GERVAIS