Stéphane Drolet, Sprotch et le tuyau manquant (SF)
Stéphane Drolet
Sprotch et le tuyau manquant
Montréal, Fidès, 1987, 223 p.
Sprotch, concierge impérial, constate la disparition d’un tuyau coudé juste devant chez lui et se met en quête d’une pièce de remplacement pour éviter que l’inondation ne prenne l’ampleur d’une marée. De son côté, l’empereur Olorien 1er a une tâche de représentation importante à confier à son concierge. Son lieutenant Borman, jaloux et vexé, décide de faire supprimer Sprotch.
Il est victime de quatre tentatives de meurtre, suivies par une cinquième qui a ceci de singulier : vingt autres personnes de la capitale ont été tuées de la même façon et à la même heure de la nuit. Toutes semblent s’être fait voler un tuyau d’argnium, un métal précieux.
Malgré la protection impériale, Sprotch fait toujours l’objet de tentatives de meurtre, y compris le détournement de l’avion à bord duquel il se rendait enquêter à Port Ellos. Unique survivant de l’écrasement, Sprotch rencontre un ermite ex-empereur. Entretemps, le détective privé qu’il a engagé a découvert la conspiration : l’entreprise de plomberie desservant le palais de l’empereur lui volait de l’argnium entreposé dans ses voûtes et en cachait une partie sous forme de tuyaux chez des particuliers.
Ce roman a gagné le Concours des Jeunes Auteurs, catégorie roman. Ce concours est parrainé par le Salon du Livre de Québec et la maison Fidès, qui s’engage à publier les manuscrits gagnants. Kadel1 avait trouvé l’an dernier le chemin de l’édition par ce moyen.
Le jeune Stéphane Drolet a un contrat de gros avec un fournisseur d’adjectifs : en d’innombrables endroits, on voit qu’une épithète a été choisi presque arbitrairement, juste parce que l’auteur ne concevait pas employer un substantif sans le qualifier, ni un verbe sans lui adjoindre un adverbe, du reste. « La naïve immobilité des murs », ai-je noté comme exemple au tout début de ma lecture en croyant que ce n’était qu’une parmi quelques perles que je rencontrerais ici et là. Eh non, c’est comme ça jusqu’à la fin, il y en a huit mille lignes !
Le roman souffre de ce mal répandu chez les jeunes auteurs Québécois : l’enflure verbale. Imaginez 223 pages des répliques les plus tâcheronnes d’Achille Talon (écrites lorsque Greg est au bout de son rouleau). L’auteur annonce vouer un culte à Achille Talon. J’en raffole moi aussi, mais il est drôle, lui. Et de toute façon, lire quelques bulles de sa prose, c’est un plaisir, mais en lire 223 pages bien tassées, sans le levain de la subtilité, c’est plus qu’indigeste, c’est poison. Par surcroît, ces pages sont émaillées de parenthèses et de soixante-huit notes infrapaginales inutiles où l’auteur rappelle son existence, comme si on risquait de l’avoir oubliée. Inévitablement, surtout quand c’est un jeune auteur, cette logorrhée est truffée de faux-emplois. Je croyais avoir vu le cas-limite avec Simon Yourm2, mais Sprotch devient l’étalon universel de l’excès lexical. En vertu de cette nouvelle norme, Simon Yourm ne valait que 0,7 sprotch, et Le Grand Ténébreux3 un modeste 0,5 sprotch.
Cette diarrhée de mots a de quoi écoeurer à jamais le jeune lecteur. Comment le persuader, après Sprotch, de l’importance du mot juste et de la pertinence de recourir parfois au dictionnaire, tout en lisant, pour enrichir son vocabulaire ? Comment le convaincre que la grammaire française est utilisable et permet de s’exprimer clairement avec une relative facilité ? Pour une deuxième année de suite, le jury du Concours s’est laissé déborder et a abdiqué sa faculté de jugement, pour classer « roman pour adolescents » un manuscrit dont l’extravagance était sûrement, à mes yeux, d’intérêt juvénile.
L’action avance à pas de tortue, systématiquement retardée par des considérations sur les gadgets en usage sur Clog et les comparaisons avec notre siècle, sur la société cosmopolite de Muchmoch, sur des personnages et des anecdotes qui feraient à peine rire un débile léger.
Les seules femmes rencontrées dans ce roman sont secrétaires, outrageusement maquillées, sottes et mamelues – bonjour le sexisme. Quant à la violence gratuite, elle se mesure en hectolitres de sang.
Le temps de narration passe du présent au passé simple, au présent, à l’imparfait, au présent encore, tout cela en deux pages, parfois même en un paragraphe, et jusque dans une même phrase ! Preuve supplémentaire qu’aucun lecteur ou directeur littéraire n’est passé derrière le jury qui accorde ce prix. Quelqu’un aurait pu signaler à l’auteur qu’on dit « médecine légale » et non « médecine médico-légale », pour prendre un exemple parmi cent. Le correcteur a aussi laissé passer quelques coquilles, dont « rependant » pour « repentant » (mais, collaborateur à Solaris où nous péchons aussi par nos coquilles, je n’insisterai pas davantage sur cet aspect).
Le « à suivre » qui met un point de suspension à ce calvaire ne m’a même pas inquiété, au sortir de mon supplice, car aucun éditeur doué de libre arbitre ne publiera un manuscrit de la même eau, même pas Québec/Amérique (je crois). Sprotch, en effet, n’a été publié qu’en vertu de l’engagement de Fidès d’éditer l’oeuvre gagnante de son concours. On peut critiquer les responsables de la maison et du concours de s’être ainsi enferrés. Priver le jury de l’option de ne pas accorder le prix dans une catégorie si aucun manuscrit ne le mérite, et s’engager à publier le manuscrit tel quel, sans lecture critique, en ne corrigeant que les fautes d’ortographe, c’est ternir le nom de Fidès et la réputation de ce Concours pour Jeunes Auteurs parrainé par le Salon du Livre de Québec. Certes, ni la maison d’édition, ni le Concours, ni le Salon n’ont une réputation brillante, mais se nuire ainsi tient du masochisme.
Bof.
Alain LORTIE