Thellier-Vallerand, Des masques et des miroirs (Hy)
Thellier-Vallerand
Des masques et des miroirs
Verdun, Louise Courteau, 1988, 233 p.
Deux auteurs, sans prénom semble-t-il, et plus d’une quinzaine de textes, voilà ce que nous propose ce livre qui, sans être un chef-d’œuvre, s’est révélé beaucoup plus agréable que je ne l’aurais cru possible au départ. Il s’agit ici franchement de science-fiction ou de fantastique, et si le style des auteurs souffre parfois d’un certain déferlement verbal, il ajoute par moment au côté baroque de certains textes, qui sont, somme toute, assez amusants.
La nouvelle-titre, « Des masques et des miroirs » est l’une des meilleures du recueil. On y est plongé dans une Venise futuriste, où le carnaval se prolonge à longueur d’année, les gens étant affublés toute leur vie d’un masque qui dissimule leurs traits. Dès ce premier texte, on remarque certaines caractéristiques propres aux auteurs : une écriture nerveuse ; des personnages parfois clichés, mais sympathiques ; des dialogues souvent creux mais qui se lisent vite ; des concepts intrigants qui piquent notre curiosité et nous font oublier les défauts stylistiques ; bref, les auteurs mènent allègrement leurs histoires vers des conclusions satisfaisantes, quoique fréquemment prévisibles. La fiction de Thellier et Vallerand nous fait passer un bon moment, se consomme rapidement, et s’oublie tout aussi vite.
Avec « Des masques et des miroirs » on baigne en pleine science-fiction, et par moments cela rappelle, la finesse de l’écriture en moins, l’univers riche et baroque de Cordwainer Smith, ou plus récemment de Ian MacDonald. Les scènes se succèdent à une cadence folle, et la terreur grandissante du « héros » s’intensifie devant nos yeux, jusqu’à une conclusion qui, pour une rare fois, nous étonne véritablement.
Les autres textes de science-fiction, comme « Délinquance » ou « Le Certificat » sont moins achevés, mais je me dois de vous souligner un pastiche très amusant de Philip K. Dick, qui s’intitule justement « Au-delà du mannequin pastiche ». Les auteurs reprennent dans ce court récit les thèmes favoris de Dick : la drogue, les perceptions faussées, la lente désagrégation de la réalité ; ce qui donne un résultat absolument délirant que ne manqueront pas d’apprécier les amateurs de Dick.
Les nouvelles fantastiques sont plus nombreuses et, dans l’ensemble, plus convaincantes que leurs contreparties science-fictionnelles. De même, les influences sont ici plus évidentes, et dans certains cas, on se trouve face à de véritables hommages aux classiques du genre.
Ainsi des textes comme « Les Phasmes gigognes » ou « Rodolphe Schægler » s’inspirent tellement de Lovecraft qu’on jurerait lire les textes de jeunesse de ce dernier. Mais la comparaison se limite à la thématique, car il manque à Thellier et Vallerand le mystère et l’archaïsme du style de l’original, qui rendaient l’horreur beaucoup plus efficace. Ici, les mots contribuent peu à l’atmosphère qu’essaient de créer les auteurs, et l’écriture se révèle être un simple moyen de raconter l’histoire, non une fin en soi. Dans certains textes, mieux fignolés, ce défaut n’affecte pas outre mesure notre plaisir de lecture, mais là où les péripéties se font plus rares, la lecture devient un peu plus ardue.
Une autre influence est celle de l’émission télévisée The Twilight Zone, qui s’incarne dans des récits de fantastique moderne comme « La Visite au manoir » ou « Croissy-Sous-Brume ». Presque toujours amusante, cette lente dérive vers l’irréel n’a aucune règle à respecter, ni aucun souci de vraisemblance, ce qui produit généralement des résultats surprenants, absolument savoureux. « Mise au point sur film inversible », « La Photographie » et même « Méduse » sont les textes les plus achevés et révèlent une sensibilité et une tendance poétique absente du reste du recueil. Les auteurs y laissent aller plus librement leur imagination, réussissent à nous étonner et à nous envoûter, même si ce n’est que pour un court instant. Dommage que la prévisibilité de plusieurs des autres nouvelles, cet étrange sentiment de déjà vu que l’on ressent à la lecture, amoindrisse quelque peu notre intérêt.
Malgré ses défauts, Des Masques et des miroirs contient de très bons moments, une littérature parfaite pour lire le soir et le matin, dans l’autobus. Cela se lit vite, et on s’amuse ; ce n’est déjà pas si mal.
Jean-Philippe GERVAIS