Esther Rochon, Le Piège à souvenirs (Hy)
Esther Rochon
Le Piège à souvenir
Montréal, La Pleine lune, 1991, 143 p.
Un septième livre et un second recueil de nouvelles, ou six volumes en sept ans, en plus de traductions, voilà des éléments qui dénotent une belle persistance dans l’écriture chez une auteure ! Récipiendaire du Grand prix de la Science-Fiction et du Fantastique québécois en 1987 puis en 1991 – ce qui ne gâte rien dans une réputation –, Esther Rochon revient à la charge en livrant au public un autre ouvrage. Le Piège à souvenirs réunissant neuf récits préalablement parus ailleurs en revues ou en anthologies.
Rien de nouveau, pourrait-on croire un moment. Rien d’inédit dans ce recueil ? C’est presque vrai ! Et on peut s’estimer déçu pour cela, mais. Mais l’écrivaine propose des versions remaniées de ses textes antérieurs. Vraisemblablement pour elle, l’écriture n’est pas un acte définitif et les occasions de peaufiner une expression ou une atmosphère ne doivent pas être manquées. Toujours mutante, quoi !.…
Il n’est pas toujours facile de catégoriser des textes d’Esther Rochon. Heureusement, l’épithète « science-fiction » a le dos large et la production générale de cette auteure y a trouvé son identification la plus probante, à défaut parfois d’une classification plus serrée. La récente Bibliographie analytique… des Boivin, Émond et Lord estime pour sa part qu’il s’agit là de fantasy, un sous-genre de la SF attaqué par le merveilleux épique. L’œuvre de Rochon peut supporter toutefois d’autres appellations.
La poétisation lyrique – une difficulté supplémentaire pour les spécialistes de la rationalisation « scientifique » – demeure omniprésente à travers son œuvre, le vocabulaire s’y présente riche et se révèle souvent hautement symbolique. De plus, la phrase se fait tantôt fortement descriptive, élaborée, détaillée, ciselée, et tantôt se manifeste sous forme de gradations, d’énumérations, de mouvements qui l’emportent, soutenue par des qualificatifs variés, jusqu’à son ultime note musicale.
Le Piège à souvenirs n’échappe pas aux habitudes stylistiques de l’auteure. La réécriture y est sans doute pour quelque chose ! Malgré la diversité des sujets, on y retrouve quand même quelques constantes. Ses protagonistes principaux restent des itinérants, des personnes de passage d’un lieu à l’autre, en transit. Les fonctions occupées, souvent temporaires, en font des individus en quête d’un autre monde, de nouvelles valeurs. Ils deviennent facteurs d’évolution d’un milieu, des initiés par qui le changement social pourra se produire.
Ce milieu sera parfois homotopique, c’est à dire que les références géographiques nous sont connues. Il s’agit alors de Sept-Îles ou de Montréal, « Xils », « La Roseraie », « L’Ange et le pont » et « Treize : la honte et l’envol » en témoignent.
Plus régulièrement toutefois, à l’instar de ceux inventés dans ses romans, les univers de Rochon seront d’ordre hétérotopique. Les Starrit et Vilissi de la nouvelle éponyme, « Le Musée de Psal », par exemple, nous situent dans des endroits strictement fictifs, mais qui possèdent ou ont accès à une technologie semblable à la nôtre.
On peut remarquer également que les gens mis en action par l’auteure vivent dans des endroits clos, dans des lieux enfouis ou éloignés, dans des espaces passablement réduits où s’effectue, avec une évidence toute psychanalytique, leur gestation initiatique.
La relation des faits, gestes et pensées des actants est révélée, par ailleurs, par ceux-là mêmes qui les expérimentent. Ils sont narrateurs de leur quotidien, de leurs récits conduits à la première personne. « Le Piège à souvenirs » multipliera ce procédé par quatre avec un heureux succès.
Il faut signaler, en conclusion, la présence permanente de la mort, non pas comme exutoire sec de violences individuelles ou collectives, mais comme destin. Thématique persistante à travers toute l’œuvre d’Esther Rochon, tout aussi présente dans ce recueil, elle oriente l’introspection des personnages en suscitant réflexions et parallèles sur les fins des sociétés dans lesquelles ils se démarqueront, héros et héroïnes aux figures involontairement catalysatrices, mais aux questionnements profondément humains.
Ces derniers détails rappellent, étrangement, l’utopie !
Georges Henri CLOUTIER