Aurélien Boivin, Maurice Émond et Michel Lord, Bibliographie analytique de la science-fiction et du fantastique québécois (1960-1985)
Aurélien Boivin, Maurice Émond et Michel Lord
Bibliographie analytique de la science-fiction et du fantastique québécois (1960-1985)
Québec, Nuit blanche, 1992, 577 p.
Elle a enfin vu le jour cette bibliographie tant attendue du fantastique et de la science-fiction au Québec réalisée par le GRILFIQ (Groupe de recherche interdisciplinaire sur les littératures fantastiques dans l’imaginaire québécois). Amorcé en 1985 et poursuivi activement de 1986 à 1988 grâce aux efforts constants des Aurélien Boivin, Maurice Émond, de l’Université Laval, et du professionnel de recherche Michel Lord (devenu depuis professeur à l’Université d’Ottawa), le premier plan triennal d’une vaste recherche voit son aboutissement par cette publication volumineuse. Fait à remarquer c’est chez un éditeur non-institutionnel spécialisé dans l’essai. Nuit blanche éditeur, que paraît l’ouvrage (à ne pas confondre avec la revue Nuit blanche/L’actualité du livre car il s’agit désormais d’administrations juridiquement et économiquement différentes).
Cet ouvrage couvre une période très effervescente de notre littérature, moment qui va des balbutiements de la Révolution tranquille aux années qui précèdent immédiatement le projet. Les auteurs s’expliquent dans leur introduction quant à cette délimitation sur vingt-six ans : « [Nous] avons remarqué que, depuis les années 1960, le fantastique et la SF connaissent une recrudescence certaine après une éclipse relative de près de soixante ans. Voulant donc restreindre notre champ de recherche et révéler, dans le même temps, la modernité et la vitalité de la pratique de ces genres au Québec, nous avons convenu d’explorer en premier lieu [cette] période toute récente. »
Une seconde phase, jadis souhaitée par le GRILFIQ, voulait examiner le corpus antérieur à cette époque, soit les années 1835 à 1959, mais les organismes subventionneurs dont dépendait ce groupe de recherche ont retiré leur aide, momentanément à tout le moins. Cette absence de fonds publics suivis éclaire également sur les délais de parution qu’a connus cette bibliographie. Grâce à cette publication officialisée, il est permis toutefois d’espérer maintenant la reprise de cette recherche spécifique.
Si la périodisation fut l’une des préoccupations du GRILFIQ pour justifier son corpus, il reste que d’autres facteurs ont orienté les choix de cette équipe : l’autonomisation de ces champs et leur horizon d’attente. Ces concepts relèvent d’une approche particulièrement intéressante, de plus en plus répandue au niveau universitaire, et même au collégial : la sociologie de la littérature.
Les auteurs ne donnent pas de définitions éloquentes de ces termes peu familiers encore hors de ces contextes éducationnels mais les explicitent par des exemples. Ainsi, on pourra comprendre que Solaris, imagine…, L’Année de la science-fiction et du fantastique québécois, les fanzines, les congrès Boréal, les collections spécialisées du Préambule et de Logiques, tout comme les prix pouvant couronner les œuvres de science-fiction et de fantastique ont contribué de façon marquante à l’expansion de ces genres au Québec, depuis 1974 notamment. De plus, la publication de numéros spéciaux et de chroniques dans des revues de littérature générale, et celle de recueils ou de romans typifiables sous ces appellations chez des éditeurs non spécialisés ont favorisé aussi cette identification générique combinée (SF et fantastique) et ont mené à leur reconnaissance publique comme pratiques relativement différenciées par rapport à la littérature générale au Québec.
Ce brassage culturel, éditorial et social a donné aujourd’hui une production suffisamment autonome pour être lue pour elle-même et assez vaste pour être distincte jusque dans ses deux volets. Cette autonomisation peut paraître relativement réussie lorsqu’on la compare avec d’autres champs comme le policier, l’espionnage, l’historique, etc., qui n’ont pas, au Québec du moins, des organisations aussi structurantes, malgré un public amateur. L’introduction illustre ainsi sommairement comment fut créé le fandom québécois issu des Requiem/Solaris, imagine… et Pour ta belle gueule d’ahuri notamment, avec quelques institutions sacralisantes et les avatars fanzinesques qui en ont résulté.
Il existait virtuellement au Québec un public lecteur – c’est ce que l’on peut saisir lorsqu’on parle d’horizon d’attente – de science-fiction et de fantastique. Les auteurs n’analysent pas cette naissance mais ils mentionnent, tel que cité plus haut, « la recrudescence » d’œuvres indigènes dans ces domaines depuis 1960. On présuppose alors que les Thériault, Mathieu, Carrier, Tremblay nommés (et plusieurs autres non identifiés) ont préparé, par leurs publications, le terrain de l’institutionnalisation de ce champ double, survenue après 1974. Mais dans quelle mesure ? La réception critique de l’époque a-t-elle réellement accueilli ces auteurs et leurs ouvrages en les rattachant immédiatement à ces domaines ? Lord, dans son Anthologie de la science-fiction québécoise contemporaine, allègue qu’il y eut alors « une réception à peu près nulle » (p. 17) ! L’énoncé implicite, « [c]e procédé d’annexion à rebours » (p. 9), devient suspect.
Il faut peut-être reprendre aussi une autre partie de l’affirmation postulée dans la citation donnée plus haut, là où on avance « l’éclipse relative de près de soixante ans » des genres SF et F. Cela apparaît vrai pour les fantastiques gothique et surnaturel, moribonds sinon en perte de vitesse dès la fin du XIXe siècle car les historiques actuels relèvent peu de production fantastique de tout type dans ces fameux « soixante ans » ; toutefois les récits de science-fiction demeurent nettement en croissance depuis le tournant du siècle jusqu’à leur « recrudescence » après 1960.
Six textes de SF constituent actuellement le corpus québécois déclaré du XIXe : il faut y voir alors les plumes plus célèbres d’Aubin (1839) et de Tardivel (1895) et W.-E. Dick (1896) aux extrémités, celle d’un obscur Savinien Lapointe en 1876 et désormais celle, incontournable, d’un Antoine Gérin-Lajoie avec son doublet utopique, les Jean le défricheur (1862) et Jean Rivard l’économiste (1864). Un septième, écrit en 1896 mais paru en 1920 sous la signature de Nazaire Levasseur pourrait constituer l’élément charnière discutable entre cette époque et la suivante.
Il y en eut davantage par après. Il faut souligner les présences des Ulric Barthe (1916), Jules Jéhin (1918), Jean-Charles Harvey (1922, 1929), Odette Oligny [Michelle de Vaubert] (1923). Ubald Paquin (1923, 1926), J.-O. Léger (1931), Emmanuel Desrosiers (1931), Rodolphe Dubé [François Hertel] (1944), Armand Grenier [Fl. Laurin] (1944), [Guy-René de Plour] (1952), T.-A. Bernier [Jean Berthos] (1946), Boisson et Contemo (1947), auxquels on doit rajouter un certain nombre de fascicules dont la série intitulée Les Aventures futuristes de deux savants canadiens-français (1949), entreprise par Louis Champagne, sera poursuivie par Pierre Daigneault [Pierre Saurel]. Nos pulps ont donné assurément quelques autres dizaines de numéros comportant de la science-fiction en dépit de codifications officielles différentes, telles « Grand roman policier » ou « Roman d’action ». Les Exploits fantastiques de Monsieur Mystère, principalement ceux sous-titrés « L’Homme au Cerveau Diabolique » et signés Michel Bernard, mettent régulièrement en scène les Terriens aux prises avec Martiens ou Vénusien(ne)s. Un troisième feuilleton. Les Aventures extraordinaires de Phantasma, détective privé, en contiendrait aussi. Ces données sommaires (Janelle, Lacroix, Lord, Gouanvic, Sernine, Bouchard), accessibles en 1988 et avant, témoignent d’une vigueur – mal re/connue sans doute – de la science-fiction québécoise et infirment donc la prétention trop globalisante du bout de phrase épinglé.
Certains historiques incluent également quelques IXE-13, le héros très populaire de Saurel, dans cette période pré-Révolution tranquille. Cependant, seule une séquence de dix-huit épisodes (#650 à 667) se rattache à la SF et elle est parue d’août à décembre 1960. On devrait alors les retrouver dans la Bibliographie analytique…, mais ils y brillent par leur absence !
Les maîtres d’œuvre de l’ouvrage, poursuivant leur introduction, s’expliquent sur leurs procédures de dépouillement « systématique » ; « des quelque cent trente périodiques québécois ayant circulé de 1960 à 1985, dont de nombreux quotidiens ». 4 000 textes et plus allaient constituer le premier inventaire du GRILFIQ. L’œuvre actuellement livrée au public conserve « un peu plus de 1 500 récits longs et brefs » attribuables à « plus de quatre cents auteurs ».
L’équipe s’en est tenue à la fiction sous forme de roman ou de récit, de nouvelle et de conte. Pas de poésie, pas de théâtre, pas de cinéma, pas de littérature jeunesse. Pas de merveilleux, non plus.
Les justifications demeurent admissibles compte tenu de la somme de documentation. (Pas de fascicules, mais il s’agit forcément d’un oubli !) Pas d’essais, d’études, de réception critique, d’entrevues, etc. Mais pas d’éclaircissement sur cet aspect important de la production tenue sous silence. L’ASFFQ, dans ce sens, se révèle comparativement plus complète, puisqu’elle intègre ces informations à la recension.
Ces productions sont répertoriées sous trois appellations différentes : science-fiction (plus de 500 contes et nouvelles, une quarantaine de romans), fantastique (plus de 600 textes courts et une vingtaine de romans) et hybride (300 brefs et environ 40 histoires romanesques).
Les distinctions génériques suivent, pendant quelques pages, ces informations. Les définitions fournies pour orienter le choix subsistant et les classifications primées se font fort intéressantes. Elles peuvent guider, par leur éclairage, chercheurs et étudiants, simples lecteurs, etc., dans leurs efforts de compréhension des « fantastiques québécois ».
La Bibliographie analytique…, tout en rejetant le merveilleux, accepte la fantasy dans le corpus science-fictionnel et le réalisme magique comme forme moderne de fantastique au champ correspondant. Ce qui est hybride, on le comprendra, c’est ce qui touche aux deux grandes interpellations du titre, SF et F, tout en se mélangeant à d’autres discours codifiables.
Il aurait été appréciable de voir apparaître les sous-classifications admises ci-dessus et d’autres (hard, utopie, space opera, etc. ; canonique, gothique, surnaturel, etc.) afin d’aider le public visé à mieux connaître les tendances québécoises dans ces domaines.
Beaucoup de renseignements semblables, disponibles sur la grille servant à l’analyse des textes colligés, ont été évacués, ignorés. Une autre publication viendra, souhaitons-le, rendre accessible à tous cette banque de données immense encore conservée dans la mémoire d’un disque dur. Tout n’a donc pas été dévoilé dans ce volume et les lacunes constatées permettront probablement de créer un horizon d’attente pour cet autre volet de la recherche.
L’introduction se termine avec les remerciements d’usage à l’Université Laval. Nous sommes honorés d’y voir notre nom parmi les dix-huit étudiants qui ont collaboré à ce grand œuvre. Cette reconnaissance fait partie maintenant de la tradition et elle témoigne élégamment des apports des tâcherons obscurs que nous étions. Nous ne pouvons qu’en être gratifiés. Cette modeste contribution trouvera sans doute échos agréables dans les « cévés » des participantes et participants à cette aventure grildiquienne.
Il reste cependant encore à dire sur le contenu concret. Le classement s’y fait par ordre alphabétique d’auteur, comme les chapitres par ailleurs. Lorsqu’ils sont disponibles, les indications sur les lieux et date de naissance et de décès suivent, une ligne plus bas, entre crochets. Ensuite, l’entrée se fait par ordre chronologique de parution ; puis, s’il y a lieu, les œuvres parues en périodiques sont placées avant celles publiées en volume. C’est après la première mention du titre que l’on retrouve la classification sommaire par genres : (SF), (F) et (Hy). La recension du récit en titre, en gras, finalise le dossier.
Ce qui surprend, à l’occasion, c’est la distorsion de certains comptes rendus par rapport à la perception que l’on avait du texte. Si les résumés semblent généralement fidèles, d’aucuns souffrent de détournement de sens sinon de contenu. Si d’aventure les textes pour lesquels nous interrogions notre mémoire – notre interprétation et nos souvenirs étant parfois différents de la lecture proposée – ont subi accidentellement des transformations à la mise en page, la pertinence de l’information risque de se voir partiellement invalidée ou discréditée, pour ces textes, comme pour l’ensemble.
Le jugement serait cependant rapide et il ne faut pas nier les mérites de cette entreprise. Un monde ignoré est mis à jour. Une quantité étonnante de textes et d’auteurs est portée à notre connaissance. Au public de faire la part des choses et de prendre ses distances vis-à-vis les ambiguïtés ou les erreurs évidentes.
Un ultime agacement pourrait provenir des coquilles, relativement fréquentes, que notre déformation de correcteur nous a permis de pointer à une première lecture.
Est-ce qu’après avoir dit tant de « mal » et révélé tant de « défauts » de cette première bibliographie analytique de la SF et du fantastique québécois, faut-il en suggérer la lecture ou l’achat ? Eh bien… Oui ! Tiré à 500 exemplaires, ce livre demeure un outil de référence important à un prix fort abordable (40,00 $) compte tenu de la quantité d’informations, valables, que l’on peut y retrouver. Un rabais substantiel est offert par ailleurs aux écrivains répertoriés dans l’ouvrage et intéressés à l’acquérir. Un conseil : compte tenu que les 400 auteurs recensés se mettront rapidement en tête de se le procurer et que les collaborateurs et les critiques – une cinquantaine environ – ont déjà le leur, il ne restera qu’une autre cinquantaine d’exemplaires à écouler. N’attendez pas le deuxième tirage, achetez-le rapidement !
[Nuit Blanche éditeur, 1025, rue Saint-Jean, bureau 405, Québec (Qué.), GIR 1R7]
Georges Henri CLOUTIER