Hugues Morin, Le Marchand de rêves (Fa)
Hugues Morin
Le Marchand de rêves
Floriffoux, Octa, 1994, 104 p.
À l’instar du recueil Sourires recensé plus haut, ce premier recueil de nouvelles d’Hugues Morin nous a posé un problème de classification. A priori, parce qu’il a été publié par un fanéditeur belge, Octa, nous aurions dû en parler dans notre chronique « Les Points sur les zines ». D’un autre côté, il s’agit bel et bien d’un livre, pas d’un périodique ; c’est un recueil de nouvelles publiées par un auteur québécois, et c’est donc dans « Les Littéranautes » qu’on se doit d’en parler. On pourrait certes réfuter qu’Octa n’est pas un éditeur professionnel, par plus que Les Éditions de l’À venir, qui ont publié Sourires, mais ce serait mettre le pied sur une pente bien savonneuse. Comme le souligne André-François Ruaud dans la chronique « Du côté de la France » de ce numéro, avec la raréfaction des possibilités de publication pour les écrivains de SF en français, il ne faut s’étonner si ce sont les microéditeurs qui prennent le relais. La frontière entre éditeur et microéditeur a de toute façon toujours été floue, surtout au Québec où nombre de petits éditeurs disparaîtraient immédiatement sans bénévolat, et ce malgré leurs subventions (soulignons que tous les éditeurs ne sont pas subventionnés).
Mais revenons au petit recueil de Morin, que j’ai lu avec un plaisir inattendu. Pourquoi inattendu ? Parce que, pour être candide, ce que j’avais pu lire d’Hugues Morin jusqu’à ce jour ne m’avait pas toujours convaincu. Mais la lecture du Marchand de rêves a définitivement changé mon opinion.
Premièrement, Morin a fait des progrès considérables du point de vue écriture. Deuxièmement, ce qui est sans doute plus important pour l’avenir, il démontre dans ce court recueil une variété fort bienvenue dans les registres du fantastique. Le ton varie du fantastique un peu gothique (« La Sirène de la vie »), à l’humour (« Le Chat »), l’énigme policière (« Le Chien des Ardenbourg ») ou l’insolite (« Le Cinéplex »). C’est un des recueils publiés par un microéditeur les plus intéressants qu’il m’ait été donné de lire récemment, un recueil qui démontre jusqu’à preuve du contraire que Morin a beaucoup plus d’affinité avec le fantastique, voire même le policier, qu’avec la SF. J’en prends à témoin l’idée superbe de la nouvelle « Le Cubitus club » (un peu gâchée par une finale précipitée, on souhaite que l’auteur la réécrive quand il aura peaufiné sa technique, car l’idée ne déparerait pas un recueil de ses écrivains favoris). À cet égard, on ne peut s’empêcher de faire la filiation avec Claude Bolduc et Natasha Beaulieu. En effet, les textes de ce trio de jeunes fantastiqueurs québécois, qui s’inspirent sans complexe du fantastique gothique américain, ont en général été plus convaincants que leurs textes de SF.
Ceci étant dit, ce n’est pas un livre sans faiblesses. « Le Chemin du pavillon » est une idée qui a été faite mille fois (croyez-en un ex-directeur littéraire), tandis que dans « Recette émotionnelle de tripes au calcium », on sent que l’auteur aurait voulu être poignant, mais qu’il n’a pas réussi à transmettre à ce lecteur-ci les émotions qui ont motivé l’écriture de la nouvelle. Et finalement, le concept lui-même est convenu : ce sont des histoires que les gens d’un club se racontent, l’auteur ne cachant nullement qu’il s’est directement inspiré d’Asimov (surtout de sa série des « Veufs noirs »), d’Arthur Clarke et de Stephen King. Si l’aveu est honnête, il souligne toutefois que Le Marchand de rêves est encore l’œuvre d’un amateur, et ceci dans les deux sens du terme. Ma foi, cela ne m’empêchera pas de suivre avec intérêt la progression d’Hugues Morin, qui ne restera peut-être pas « amateur » si longtemps…
Joël CHAMPETIER