Jean-Pierre Vidal, Histoires cruelles et lamentables (Hy)
Jean-Pierre Vidal
Histoires cruelles et lamentables
Montréal, Logiques (LITT.), 1991, 232 p.
Avec ses Histoires cruelles et lamentables, Jean-Pierre Vidal inaugure une autre collection chez Logiques. Ce recueil se compose, prétend-on, de « dix-sept nouvelles où la difficulté d’être et la joie, malgré tout, d’y être, se conjuguent à tous les temps, dans l’humour et la dérision, le rythme de l’écriture et le chatoiement des sens » (quatrième de couverture). Dix-sept titres en effet, mais bien davantage de textes, car il faut aussi prendre compte de douze récits brefs contenus dans deux de ces dix-sept divisions. À cet ensemble s’ajoutent préalablement une dédicace à deux lectrices privilégiées et un avertissement du rédacteur à ses lecteurs.
Cette préface demeure importante car elle positionne l’œuvre et l’auteur vis-à-vis son marché potentiel. Jean-Pierre Vidal interpelle d’une part les critiques de médias qui « f[ont] simple pour la femme, l’homme simple que sont (…) les lecteurs », médias qui imposent leur perception nivelante du lectorat : le « vrai monde (…) ordinaire » est typifié, réduit, méprisé car en somme on suppute automatiquement que rien de complexe ne peut lui être offert. La dénonciation de Vidal s’effectue en quelques traits d’humour caustique.
D’autre part, l’auteur s’adresse également à son public-cible : « un lecteur qui a lu et qui saura replacer son entreprise dans son contexte », un quidam donc qui pourra apprécier à sa mesure le matériau littéraire pour son jeu des mots, et qui saura reconnaître éventuellement les influences que reçoivent inévitablement les écrivains.
« Je ne prétends surtout pas à la facilité », ajoute-t-il pour s’opposer davantage aux tenants, fustigés encore, de la lecture accessible à tout le monde. Il est bien vrai que la phrase de Vidal est fort structurée, remplie d’incises, de circonlocutions (et de parenthèses), qu’elle s’amuse souvent à l’inversion et aux subordonnées ramificatrices. Les intellectuels, sur ce propos, en auront assurément pour leur argent.
La collection LITT., souligne l’éditeur dans un communiqué, « appelle des œuvres remarquables et uniques, où tout est écriture et le reste, littérature ». L’ouvrage de Vidal répond à cette intention. « La phrase juste n’a pour moi (…) rien à voir avec les niaiseries fadasses du père Boileau », confie-t-il aussi dans son réquisitoire introductif. Cela vise-t-il à excuser à l’avance quelque lourdeur stylistique constatée ou la demi-douzaine de coquilles échappées des nombreuses révisions ?
Mais qu’en est-il de la science-fiction ou du fantastique de l’œuvre ? Même si « la littérature est la seule vraie machine à remonter le temps » (quatrième de couverture), seuls quelques textes peuvent prétendre à la catégorie SF.
Le premier ensemble de textes brefs, numérotés en chiffres romains, en relève. Tantôt il s’agit d’univers parallèles où les dieux entretiennent des illusions ; où le petit prince « tue M. A. de Saint-Exupéry, dans le compartiment couchette qu’il occupait dans l’Orient-Express », où un extraterrestre étudie, sans trop les comprendre, les rites nuptiaux des humains… à partir de films pornos ! Ensuite on s’égayera, malgré tout, de la disparition rapide de cet animal qui vient, pour la première fois, de se dresser sur ses pattes arrière : l’homme ; on pourra s’esclaffer même de l’angoisse de ce narrateur qui perçoit peu à peu la disparition de ses onze semblables, dans une odeur de chair grillée, et qui ne veut pas mourir comme un chien… chaud.
On remarquera de plus, pour cette classification, « Rusty et la Méduse », « L’Ermite de Marigny-les-Voûtes », « Un jeu d’enfant » qui sont des nouvelles plus longues. Dans « Rusty… », la vie se passe dans un vaste centre commercial, les appartements sont intégrés à cette superstructure de consommation et les mots n’ont plus le même sens qu’autrefois… « L’Ermite… » pour sa part, se moque des colloques. « Héraclite et la pensée pré-socratique » est l’objet des gloses savantes cette année-là à Marigny. Venu on ne sait d’où, « un presque tout jeune homme, hirsute raisonnablement et négligé avec réserve » (p. 165) surgit dans cette docte assemblée. Il intervient avec tellement de brio qu’il étonnera et mystifiera son entourage. Comment connaît-il à ce point la pensée du philosophe, objet de la rencontre ? Gérard Le Pensec ne se prend pas pour Héraclite. Il l’est, sorti du temps !. Ailleurs, c’est PRMTH qui en « transform[ant] pour jouer ses atomes » (p. 229) avec ceux d’une masse de métal a provoqué accidentellement tant de morts à HSHM, le 6 août 1945. C’était un jeu d’enfant mais sa famille a été punie et fut obligée de sacrifier par la suite beaucoup des siens, pour chaque explosion semblable. Il faudrait que cela cesse, se disent les célestes voyageurs de 45, et que disparaissent une fois pour toute ces sauvages terrestres. Permission accordée…
L’effet SF se sent aussi dans « Providence ». Tant que les « fémouttes éconses » de cette nouvelle restent des animaux mystérieux, cherchant à s’approprier le terrier d’un autre animal non-identifié, on se croit dans un univers proche du nôtre, « science-fictionnable ». Mais l’effet SF se dissipe lorsque les moufettes et leur manteau de sconce deviennent apparents au lecteur. Le calembour passera-t-il la rampe d’une classification permanente ? Une prochaine bibliographie analytique du GRILFIQ le déterminera.
Les récits vidaliens sont donc parfois des textes frontières. Le relevé proposé s’en est tenu à quelques apparences. Cette catégorisation sommaire pourra cependant attirer certains lecteurs de science-fiction. Il leur faudra s’attendre à des phrases denses, touffues, empruntant souvent à l’écriture du nouveau roman, comme aux auteurs classiques, ce qui n’enlèvera rien aux contenus. Ceux-ci mettent enjeu littéraire les plaisirs assassins de personnages divers, de l’enfant à l’adulte, du voyageur au reclus, du gratte-papier aux dieux plus ou moins extraterrestres. Descriptions détaillées, minutie des coups montés, interrogations sur le langage, clins d’œil humoristiques, atmosphères occasionnelles de polar, tout vise à produire régulièrement des chutes vaches… Cela fera-t-il le succès de ces nouvelles ?
Georges Henri CLOUTIER