Claude Grégoire, Le Fantastique même (Fa)
Claude Grégoire
Le Fantastique même
Québec, L’Instant même, 1997, 234 p.
Claude Grégoire nous présente ici une anthologie de textes fantastiques puisés au sein de la production des auteurs de nouvelles qui gravitent autour des éditions de L’Instant même.
Fondée à Québec par le nouvelliste Gilles Pellerin, cette maison d’édition est spécialisée dans la nouvelle. Je disais plus haut dans ma recension du livre d’Hugues Morin qu’il manquait de lieux où publier des nouvelles au Québec, et c’est tout à l’honneur de L’Instant même de s’y spécialiser et de fournir un débouché aussi essentiel aux nouvellistes. On sent toutefois un parfum d’académisme autour de cette maison, qui privilégie la nouvelle très littéraire, très formelle. A priori, on n’a rien contre la belle écriture, mais à en croire certains propagandistes de la nouvelle au Québec, une nouvelle se doit d’être un exercice littéraire et formel, il n’y aurait rien de plus quétaine pour un nouvelliste que de vouloir simplement raconter une histoire.
Autrement dit, le fantastique représenté dans ces 23 nouvelles, presque toutes très brèves, se situe beaucoup plus du côté de Borges et Buzzati que de Koontz ou Clive Barker. Les auteurs ont privilégié un fantastique où l’angoisse résulte beaucoup plus d’une dialectique conflictuelle entre le réel et l’irréel, pour reprendre les mots de la préface, que de l’apparition d’un quelconque monstre surnaturel. Pas de vampires, par de décors gothiques ; c’est un fantastique résolument urbain, la réalité est ambiguë, temps et espace subissent d’étranges distorsions. Les métaphores topologiques sont omniprésentes, notamment celle du miroir. D’ailleurs, si on voulait jouer au jeu des étiquettes, on pourrait qualifier certaines nouvelles de science-fiction. « Filature » de Gilles Pellerin est une variation de la boucle temporelle, tandis que dans « La Vraisemblance », de Bertrand Bergeron, presque toute l’humanité semble avoir disparu. Je parle de tropes science-fictionnels : par leur refus évident d’offrir la moindre rationalisation, on ne saurait vraiment classer ces nouvelles autrement qu’en fantastique.
En tant que vitrine du fantastique pratiqué par cette école de la nouvelle au Québec, Le Fantastique même est un livre instructif, pour sa préface tout d’abord, et pour son choix de nouvelles. C’est toujours très bien écrit, quoique certaines nouvelles quittent notre mémoire aussitôt terminées – il y a un risque à écrire des textes sans histoire, au décor abstrait et aux personnages sans émotion. Il conviendrait d’absorber le contenu par petites doses. Les nouvelles les plus mémorables sont celles de Bertrand Bergeron et d’Hugues Corriveau – deux stylistes de grand talent – et surtout celles de Gilles Pellerin, le fondateur même de la maison d’édition, et en ce qui me concerne le nouvelliste le plus intéressant qui y ait publié.
Joël CHAMPETIER