Joël Champetier, La Peau blanche (Fa)
Joël Champetier
La Peau blanche
Beauport, Alire, 1997, 243 p.
C’est avec une certaine curiosité que j’ai entrepris la lecture du dernier roman de Joël Champetier, l’auteur ayant qualifié son roman « d’avorton contrefait ! ». En fait, La Peau blanche est de ces romans qu’il est difficile de résumer dans trop dévoiler l’histoire au lecteur éventuel. Il s’agit d’une histoire où sexe, racisme et littérature se côtoient sans le moindre tabou. Thierry est un jeune français qui ne jure que par la littérature québécoise (la vraie, celle d’Hamelin, Mistral et Tremblay). Il débute des études à l’UQAM. Son colocataire et ami Henry est un québécois d’origine Haïtienne qui adore la littérature de genre. Un beau jour, Thierry tombe amoureux de Claire, une rousse mystérieuse (d’où une partie de l’explication du titre, les rousses du roman ayant une peau blanche, presque translucide). S’en suit une relation trouble où il est évident que Claire cache des choses à Thierry. Henri propose à ce dernier une explication au mystère entourant Claire et malgré la colère de Thierry, ils doivent se rendre à l’évidence, ils courent un grave danger.
Ce roman est à la fois dérangeant et savoureux. Il dérange par les thèmes qu’il aborde, mais il adopte toujours une espèce de position à rebours, retourne le thème, ne se préoccupe pas des idées reçues ou des tabous. À titre d’exemple de situation à rebours, cette pensée de Thierry : « C’était la tante blanche de Henri qui avait l’accent haïtien, tandis que son neveu noir parlait avec un accent québécois digne d’un bûcheron ». Et c’est justement Henri qui mentionne à un moment : « C’est vous autres, les gens de couleur. Nous, on a les yeux noirs, les cheveux noirs, la peau noire… vous avez les yeux bleus, verts, gris, violets. Les cheveux blonds, roux, bruns ». Ce thème du racisme est d’ailleurs assez torturé puisqu’à un moment, on a l’impression d’assister (au Québec) à l’affrontement d’un noir et d’un français contre des rousses !
Et ce sont justement ces situations prises à contresens qui donnent cet aspect savoureux au roman. Les deux principaux protagonistes ont des discussions sur la littérature qui feront sourire tout amateur de littérature de genre. Des passages tels : « Il m’a tendu un poche, un recueil de nouvelles fantastiques d’un certain Ligotti. Je lui ai montré mon Tremblay. Nous avons chacun dit : “ Ah ! ”, l’expression d’un sentiment mitoyen entre le plaisir de constater que l’autre a trouvé ce qu’il cherche et la désapprobation sur la nature même de l’objet ».
Le fantastique est traité de la même manière que les autres thèmes. À un moment, Henry s’exclame : « Tu penses que parce que toi, t’as jamais vu de magie, de fantôme, de zombi, on doit en conclure que ça existe pas… C’est comme pour la pauvreté et le racisme, hein ? Y suffit de pas regarder et ça disparaît, hein ? ». Cette phrase résume bien le point de vue adopté par l’auteur. Le roman début comme une histoire mainstream, les éléments curieux s’accumulent, puis le tout bascule en plein fantastique, la transition étant assez subtile pour que le lecteur l’accepte sans se poser de question.
Et cette transition est justement rendue subtile par un de ces aspects amusants du livre. L’arrivée du personnage de la tante d’Henri, dont on ne sait pas plus que Thierry s’il faut prendre au sérieux ses propos de sorcière vaudou. Cette partie, qui débute par des sourires, se termine en pleine angoisses, changement de niveau. La scène de la tempête, au centre de ce chapitre, est d’ailleurs parmi les plus efficaces du roman.
Bref, on peut avoir l’impression que le roman part dans toutes les directions, et c’est peut-être pourquoi l’auteur avait ce jugement plutôt sévère à l’endroit de son livre. Mais à la lecture, il s’avère que l’histoire demeure absolument fascinante et d’une cohérence à toute épreuve, en plus d’être d’une terrifiante efficacité. Une réussite qui fait de ce livre un roman unique en son genre.
Une anecdote amusante au sujet de ce roman où il est justement question de racisme : la recherchiste d’une émission de télévision sur la littérature, intéressée à inviter l’auteur du roman, a contacté l’éditeur de La Peau blanche. Elle a demandé si l’auteur était bien un haïtien. L’éditeur lui a précisé que Champetier est un Québécois… et l’auteur n’a jamais été invité à l’émission. Dans le roman, Thierry et Henri parlent de la difficulté de percer pour écrivain. Thierry mentionne : « Mais Tremblay c’est différent. Il est gay. C’est comme toi. T’as le droit d’écrire, t’es un nègre… Tu pars gagnant… Je ne suis qu’un blanc hétéro ». Henri lui réplique alors que ça pourrait être pire : « Tu pourrais être un Québécois de souche et habiter Amqui ».
Hugues MORIN