Andrée A. Michaud, Le Ravissement (Fa)
Andrée A. Michaud
Le Ravissement
Québec, L’Instant même, 2001, 214 p.
Il y a fort à parier que le lecteur féru de roman policier ou de fantastique traditionnel aura des restrictions face à cette œuvre. Mais il se priverait d’expériences esthétiques intéressantes. En effet, en plus de son caractère hybride, Le Ravissement fait montre de qualités d’écriture indéniables qui ressortent à travers le style très évocateur de son auteure. Le fait que le texte repose entièrement sur de la narration (on ne retrouve pas de dialogues) en renforce l’intériorité et la profondeur : chaque mot et chaque phrase ont leur importance. De plus, en réinventant ces genres, André A. Michaud établit un certain pacte avec le lecteur qui doit faire un effort en conséquence.
Ce roman se divise en deux parties dont la première présente le point de vue d’une jeune femme prénommée Marie (ou Marnie ou Mary) qui est venue se réfugier à la campagne (plus précisément aux Bois noirs, dans la forêt de Grive) et qui est impliquée dans la disparition d’une fillette (Talia) après avoir eu une liaison avec un jeune homme boiteux prénommé Hank. Elle sera internée dans un asile psychiatrique. Il est également question de mystérieuses voix qui commandent la disparition de personnes…
Dix ans plus tard, une autre fillette est portée disparue et un policier (Harry) vient enquêter sur les lieux. Il y affrontera sensiblement les mêmes problèmes que Mary, ayant une aventure avec Elizabeth, la sœur de Harry, et se trouvant impliqué lui aussi dans la disparition mystérieuse de l’enfant. Il devra prendre une retraite anticipée en raison de sa responsabilité directe dans l’affaire.
Les voix sont un élément intéressant, car elles donnent une dimension mythologique au texte, lequel est bâti sur l’illusion et la folie (du moins partiellement). Le lien est souvent ténu entre la réalité et le mensonge : « J’essaie néanmoins de sourire, d’un impossible mais sincère sourire, puis je ferme les yeux, pour ne pas avoir à constater qu’Alfie n’est plus là, que le petit chien qui me suivait pas à pas depuis des semaines, fidèle en cela à Maria, n’a peut-être jamais existé. (p. 211) »
On apprend que Maria, une fillette avec qui Harry quitte le pays, n’est que le fruit de son imagination, de sa folie devrait-on dire. Comme si on voulait nous signifier que la frontière entre l’illusion et la réalité s’avère somme toute assez mince.
L’auteure joue beaucoup sur le symbolisme, plus spécifiquement en recourant à des figures telles les papillons et les mouches, ces dernières semblant être associées à la mort : en tuant des mouches, Marnie semble développer un désir de tuer des humains.
« Ce n’était pas que la mouche soit morte qui me bouleversa, mais ma capacité de tuer, la force de ma volonté au moment où j’avais abattu sur elle le bout de carton roulé.
Toute la journée, je réfléchis à cette constatation, construisant un argument d’une logique implacable duquel je déduisis que si je pouvais tuer une mouche, rien ne m’était impossible. (p. 38-39) »
J’ai également apprécié la réflexion sur la mort et sur le temps que l’on veut retenir, questionnement qui se manifeste entre autres à travers le remplacement de membres de la petite communauté qui, ainsi, se régénère. Par ailleurs, l’angoisse du vieillissement est manifeste ; c’est un élément déterminant (sans être majeur), mais il ne tient pas une aussi grande place que la folie et la démesure qui donnent toute sa raison d’être au texte.
Ce roman, qui a valu à son auteure le Prix littéraire du Gouverneur général, conviendra certes à ceux qui n’ont pas peur de se tourner vers des expériences nouvelles de lecture. On aura plaisir à parcourir plusieurs fois ce texte qui renferme plusieurs pistes et qui, tout en se montrant innovateur et en déconstruisant les règles du roman policier et fantastique, sait rejoindre ceux que la langue ne laisse pas indifférents.
Martin THISDALE