Hugues Morin, L’Héritage de Roberval (Fa)
Hugues Morin
L’Héritage de Roberval
Bromptonville, Les Éditions de l’À venir, 1998, 141 p.
L’Héritage de Roberval est le troisième recueil de nouvelles fantastiques d’Hugues Morin. On y trouve sept nouvelles fantastiques situées en partie ou en totalité à Roberval, petite ville du Lac Saint-Jean, à l’exception de la première nouvelle qui se passe en 1543, « Le Sieur du Lac et l’œil de Dieu » où l’on retrouve toutefois le Sieur de Roberval comme protagoniste. Les autres récits sont plus contemporains. « Le raccourci de M. Legault » se passe au début des années 60 et raconte la fugue d’une femme de Roberval avec un mystérieux Montréalais appelé Yvan Legault. Dans « Une vilaine toux », à la suite d’un accident de voiture, une femme lance un sort à son neveu, qui sera pris d’une toux incoercible. « Le Troisième Détour du gîte » raconte la façon presque miraculeuse avec laquelle un jeune homme évite un accident. « Les Copains du docteur Tarantino », la nouvelle la plus complexe et la plus longue du recueil, suit un groupe de copains encore sous le choc de la mort accidentelle d’un de leurs amis. Le livre se termine avec deux histoires de fantômes : « À la recherche de Marianne » et « Le Train de 12 h 50 ».
Hugues Morin est un des nouveaux auteurs et intervenants les plus actifs du milieu, comme en témoignent ses nombreuses nouvelles de fantastique publiées depuis 1992, mais aussi son implication dans la revue Solaris, dans la publication d’un fanzine et d’un essai professionnel sur Stephen King et tout récemment dans l’organisation du Festival de la science-fiction qui s’est tenu à Roberval. Un recueil publié chez un microéditeur, encore, puisque son premier opus, Le Marchand de rêves, était paru en 1994 aux éditions Octa, de Belgique, et son second, Parallèles, en 1995 chez Ashem Fictions, la maison d’édition de Morin. Me reportant à ma recension du Marchand de rêves, dans Solaris 112, je soulignais déjà le problème de classement que pouvait constituer de telles publications semi-professionnelles. Les frontières entre l’autoédition, la micro-édition et l’édition professionnelle, déjà bien floues en 1994, le sont davantage en 1998 avec les progrès de la photocopie numérique, qui permettent la publication à petit tirage de livres d’aspect tout à fait professionnel… ce qui n’est pas nécessairement le cas ici puisque L’Héritage de Roberval est d’une facture modeste – quoique correcte – avec une couverture noir et blanc arborant une illustration de Laurine Spehner.
Certains lecteurs seront peut-être agacés par ces considérations extralittéraires. Pourquoi s’inquiéter de la façon dont un livre a été réalisé ? Jugeons l’objet à ses qualités propres, n’est-ce pas ? Et L’Héritage de Roberval ne manque pas de qualités, dont la plus évidente est le talent de conteur de Morin, sa plume sobre et sans prétention, ses dialogues qui sonnent juste, l’attention qu’il porte aux détails de la vie des gens d’une petite ville. Plusieurs nouvelles intègrent des éléments de contes traditionnels québécois dans un cadre plus contemporain. Ce mystérieux Yvan Legault, venu d’on en sait trop où pour demander la main de la belle Louise, n’est-il pas le Malin en personne ? Il ne manque que la Sainte Vierge dans « Le Troisième Détour du gîte » pour justifier le miracle qui sauve la vie du narrateur.
Quand c’est réussi, et ça l’est souvent, cet aspect du recueil est fort sympathique. La plus longue nouvelle du recueil, « Les Copains du docteur Tarantino », est également à mettre à la colonne des actifs. Avec son intrigue non linéaire – explicitement influencée par le film Pulp Fiction du réalisateur Quentin Tarantino – et la multiplicité de ses points de vue, il s’agit d’une histoire de fantômes originale, astucieuse, j’irais presque dire audacieuse.
Hélas, en dépit de toutes ces qualités, je n’ai pas lu ce recueil avec passion. L’Héritage de Roberval souffre de plusieurs lacunes, la plupart mineures, aucune rédhibitoire, mais qui additionnées ont nui considérablement à mon plaisir de lecture. La première lacune, la moins grave sans doute, est l’hétérogénéité des nouvelles offertes. Un recueil est toujours inégal, mais je considère comme une erreur d’avoir inclus ici « Le Sieur du lac et l’œil de Dieu », un extrait d’un court roman collectif. Cette nouvelle se distingue des autres sur à peu près tous les plans : l’époque, la genèse et surtout le genre, une fantasy qui s’alignerait plutôt sur les recréations fantastico-historiques d’un Tim Powers. Ce n’est d’ailleurs pas une nouvelle sans qualités et démontrerait plutôt une affinité de Morin pour la fantasy.
Une seconde lacune est la présence d’idées fantastiques vraiment convenues. Il faut un auteur particulièrement ingénieux pour me surprendre avec les tropes du train fantôme, ou de l’auto-stoppeur fantôme. Comment ne pas sourire lorsqu’on voit quelqu’un prendre un auto-stoppeur dans un livre fantastique ? Comment ne pas penser c’est un fantôme ? On protestera qu’en fantastique, chaque écrivain livre sa vision personnelle de thèmes qui se perdent dans la nuit des temps de la littérature, que le genre est moins affaire d’idées que d’ambiance, de climat, autrement dit d’écriture. Je veux bien. Mais alors c’est bien à ce niveau, l’écriture, que l’on peut se désoler qu’Hugues Morin ait toujours publié chez des microéditeurs qui ne font pas toujours preuve de la plus grande sévérité en matière de direction littéraire. Avec une certaine candeur, l’auteur reconnaît dans la postface qu’il a proposé sans succès le recueil à des éditeurs professionnels ; et il est vrai que faire publier un recueil de nouvelles au Québec est loin d’être évident. On peut déplorer l’absence de débouchés professionnels pour les auteurs de nouvelles, mais ce serait un autre débat. En attendant, le talent doit être allié à une direction littéraire exigeante qui saura séparer le bon grain de la paille. Et il y a certes beaucoup de bon grain chez Morin, et pas beaucoup de paille… juste assez pour que ça grince un peu sous la dent.
Rien de ce qui est écrivain ne lui est étranger. Il téléphone ses effets : au début d’« Une vilaine toux », il insiste tellement sur la maladresse au volant de Jeannine que l’accident ne surprend pas. Plusieurs descriptions gagneraient à être épurées : l’arrivée des invités en page 70 des « Copains du docteur Tarantino » est un fouillis d’informations pas toutes nécessaires. Toujours dans cette nouvelle, le chapitre 8 est terriblement raconté, et pas vécu. On dit d’Éric que « Son sens de l’humour bien particulier et inhabituel avait le don de prendre les jeunes Robervalois de sa classe au dépourvu » et qu’ensuite « Pierre fut jaloux à partir du premier jour ». Il aurait fallu l’illustrer, et laisser au lecteur faire sa propre opinion. C’est particulièrement criant en page 100, lors de la confrontation entre les deux antagonistes. Ne s’agit-il pas du cœur de l’intrigue ? La narration dit platement que Pierre est surpris par sa propre cruauté. Mais, c’est nous, les lecteurs, qui voudrions être surpris par la cruauté des révélations. On a l’impression de lire un résumé, des généralités. On a de la difficulté à s’impliquer, à prendre pour un personnage plutôt que l’autre.
Cette stratégie narrative est alliée à un ton souvent distancé, un style rationnel et neutre qui finalement désamorce beaucoup l’angoisse. Sans doute qu’en bout de ligne se trouve ici ma principale déception après avoir tourné la dernière page de L’Héritage de Roberval. J’ai retrouvé un auteur au talent évident, mais qui aurait pu aller plus loin ; j’ai souvent été amusé, parfois intrigué, mais je ne crois pas avoir une seule fois éprouvé de l’angoisse, cette angoisse qui me semble essentielle à un bon texte de fantastique.
Joël CHAMPETIER