Hugues Morin, Ombres dans la pluie (Hy)
Hugues Morin
Ombres dans la pluie
Roberval, Ashem Fictions, 1998, 140 p.
Il est toujours délicat de devoir critiquer un recueil de nouvelles. Par définition, l’ouvrage est condamné à être inégal. Personnellement, je ne crois pas me rappeler un recueil, tous auteurs confondus, dont toutes les nouvelles, sans exception, m’aient plu. Ni le Night Shift de King, que j’ai pourtant adoré dans l’ensemble, ni Les Armes secrètes, de Cortazar, que j’ai aussi beaucoup aimé. Les treize histoires d’Ombres dans la pluie de Hugues Morin n’échappent donc pas à cette règle, mais fort heureusement, la majorité d’entre elles m’ont plu, ce qui, au fond, est la principale qualité de tout bon recueil.
Ombres dans la pluie est sous-titré : nouvelles fantastiques. C’est faux, et c’est tant mieux. En effet, la principale qualité de Morin est sa polyvalence. Polyvalence autant dans les thèmes (euthanasie, vengeance, fatalité, vampires, recyclage des âmes et même nécrophilie) que dans les genres (fantastique, bien sûr, mais aussi horreur, suspense, science-fiction, drame, humour et… tragédie !). Morin montre qu’il peut être très à l’aise dans l’horreur pure. « Le Matin », par exemple, réussit en une page à nous précipiter dans le cauchemar d’un homme devenu fou par le désespoir. Et il y a l’hallucinante « Le Visiteur », si intelligemment atroce que l’horrible est ici manié par le personnage comme un grand art. Puis, changement de style radical, l’auteur démontre qu’il est aussi habile dans l’humour, une surprise dans un recueil qui a comme fil conducteur le thème de la mort. En effet, même s’il n’y a pas d’histoires « comiques » comme telles, certaines d’entre elles recèlent un humour souvent subtil, parfois troublant, toujours efficace. « Les Trois Vies de Gabrielle », par exemple, a beau être un exercice de style sur la littérature et les mises en abîme, il y a un élément ludique dans cette fausse histoire policière qui lui donne tout son intérêt. « Belle journée pour mourir » est une excellente démonstration d’humour noir. Avec « Les Corbeaux immortels rêvent-ils de contrôler le monde », originellement publiée dans Solaris 124, Morin s’attaque à la science-fiction en nous proposant une réflexion sur le sens de la vie, mais avec un sens du loufoque vraiment efficace, ce qui enlève toute prétention à l’entreprise.
Là où Morin me convainc un peu moins, c’est lorsqu’il veut être plus émotif, plus dramatique. Si j’ai senti beaucoup de sincérité dans « Jolie Fille sans remords » (peine d’amour), dans « Le Souvenir » (perte d’un être cher) et dans « Embrasse-moi, Hannah » (l’euthanasie), je n’ai pas vraiment été touché, pas vraiment été ému. Même chose (quoique dans une thématique très différente) avec « Neige », la nouvelle la plus longue du recueil, un huis clos dans une maison enterrée sous la neige. L’idée est bonne, mais l’évolution psychologique des personnages (en particulier celle du type de plus en plus paranoïaque) ne m’a pas semblé convaincante. Mais cela n’est pas dû à l’incapacité de Morin de traiter de ces sujets plus délicats, car avec « La Figurante », il réussit à brosser en trois pages une véritable tragédie moderne, vraiment bouleversante, et dont les dernières lignes sont, à mon avis, les plus belles de tout le recueil.
Bien sûr, ce livre comporte les lacunes inhérentes à tout livre publié en micro-édition (lacunes sur lesquelles je ne m’étendrai pas, mon collègue Joël Champetier ayant déjà traité du sujet avec beaucoup de pertinence dans Solaris 127 lors de sa critique de L’Héritage de Roberval, aussi de Morin), mais qu’à cela ne tienne : il y un nombre suffisant de nouvelles réussies dans Ombres dans la pluie pour en faire un recueil tout à fait recommandable.
Patrick SENÉCAL