Collectif, Équinoxe (Hy)
Collectif
Équinoxe
Drummondville, Les Six Brumes, 2004, 233 p.
Voilà la relève ! Une partie de celle-ci, en tout cas. Si je ne m’abuse, l’intention de la maison d’édition Les Six Brumes est de publier des auteurs débutants dans tous les genres de l’imaginaire : horreur, fantastique, fantasy, policier, science-fiction et… inconnu. Projet tout à fait louable et, effectivement, ces six branches de l’Autre Littérature (pour reprendre le terme de Paul Bleton) sont présentes.
Il s’agit de la deuxième anthologie de ce type que nous donne Les Six Brumes. N’ayant pas lu la première, je suis dans l’incapacité d’effectuer des comparaisons entre les deux ouvrages et de mesurer ainsi le chemin parcouru. Tout ce que je peux dire, c’est que ces nouveaux auteurs paraissent très prometteurs ; nous en retrouvons quelques-uns qui commencent à se faire un nom et qui ont été publiés récemment dans Solaris, comme Pierre-Luc Lafrance, Caroline Lacroix et Annette Samec-Luciani.
Si je me fie à certaines choses innommables que j’ai eues à lire dans le passé, en général les recueils qui se donnent pour mission d’éditer des auteurs débutants publient en fait n’importe quoi, sans qu’un travail de direction littéraire sérieux soit accompli, ou même envisagé, l’idée étant d’encourager à tout prix la création. Cela peut paraître sympathique mais en réalité, on ne rend pas service, car les auteurs n’apprennent pas que publier signifie qu’il faut souvent s’acharner sur un texte jusqu’à ce qu’il soit réussi, que l’écriture est le fruit du travail, pas un don d’origine mystérieuse que certains ont reçu des dieux.
Ce n’est manifestement pas le cas ici, la plupart de ces nouvelles sont écrites dans un style dépouillé et élégant. J’ai traversé ce livre en quelques heures et il m’a procuré un grand plaisir de lecture. La qualité indéniable de l’ensemble démontre que les responsables de ce collectif se sont montrés sélectifs et qu’ils ont probablement réclamé des réécritures.
Ce qui risque de faire problème, quoique pour ma part je ne considère pas que c’est un véritable problème (mais je me place du point de vue d’un lecteur blasé, ce que personnellement je ne suis pas encore), est le fait que ces textes proposent rarement des idées neuves. Ceux qui recherchent passionnément l’originalité seront peut-être déçus. Par exemple, « Trente ans de métier » de Simon Charles raconte simplement la soirée « ordinaire » d’un chasseur de vampires expérimenté. Ou encore « Le Cavalier » de Jimmy Plamondon qui est l’histoire d’un homme qui devient l’instrument des puissances des ténèbres pour détruire l’humanité. Ce sont des sujets connus, oui, et je suis un bon public pour des variations à partir de thèmes classiques, étant moi-même obsédé par certains d’entre eux, mais il demeure tout de même que j’ai trouvé ces deux nouvelles fort bonnes, elles m’ont laissé une impression positive durable. C’est la narration elle-même, efficace et engageante, qui donne un certain poids à ces œuvres. Rien que le fait de vous en parler présentement me donne envie de les relire.
De même, je dirais que, volontairement ou non, les auteurs d’Équinoxe semblent fortement influencés par certains écrivains-phares. Par exemple, « La Légende du dernier dragon » de Lafrance, une des meilleures nouvelles du recueil, rappelle l’ironie particulière d’un Terry Pratchett ; « L’Étranger de Nosfrat » d’Olivier Ménard, très bonne aussi, évoque Clark Ashton Smith ; ou encore « Lune rousse » de Samec-Luciani dont l’intrigue se rapproche de celle de Je suis une légende de Matheson, mais considérée sous un angle différent – je dirais que cette variante n’est pas inférieure de beaucoup à son modèle. On ne peut donc éviter de considérer certaines de ces histoires comme étant des remaniements ou des pastiches, mais il s’agit de remaniements et de pastiches intelligents, convaincants, et non de redites sans imagination.
Le livre est divisé en six parties, une pour chacun des genres mentionnés, mais à mon avis, sauf en ce qui concerne la nouvelle policière, la répartition des textes est parfois assez gratuite. Ceux qui sont regroupés sous la rubrique horreur pourraient tout aussi bien appartenir à la section fantastique et vice-versa. De plus, il me semble que le borgésien « Le Paradoxe de l’océan chez Simov Hoffmann » appartient davantage à la science-fiction, même de façon tordue, qu’au fantastique. Enfin, des nouvelles comme celle de Ménard ou « Le Bâton de Xirakuzan » de Gino St-Germain – lesquelles auraient été à leur place dans la légendaire revue Weird Tales – appartiennent sans nul doute à la fantasy mais pourraient tout aussi bien être considérées comme des récits d’horreur. Bref, il serait peut-être préférable dans une éventuelle troisième anthologie d’éviter ces étiquettes et de laisser au lecteur le soin de décider par lui-même à quel genre appartient chaque texte.
Je n’ai pas aimé la section « Inconnu », car elle contient des histoires plutôt surréalistes et poétiques et comme je n’ai pas tellement d’atomes crochus avec le surréalisme, lui préférant des intrigues avec un début, un milieu et une fin définis, je ne peux juger convenablement de ces œuvres. J’ai également une petite réserve au sujet de la couverture de ce livre. Ce n’est pas que cette toile non figurative ne soit pas plaisante, je l’accrocherais sans hésiter dans mon salon, mais l’emballage n’a pas grand lien avec le contenu. Il faut lire la quatrième de couverture pour apprendre qu’il s’agit d’un livre de genre. Je conçois que la représentation d’une énième créature monstrueuse ou d’une cité futuriste puisse paraître ringarde, mais c’est une convention pour permettre au consommateur de comprendre d’un seul coup d’œil à quelle sorte de livre il a affaire.
Quoi qu’il en soit, j’ai la ferme intention de suivre de près ces nouvellistes dans les années à venir. S’ils continuent à écrire, je suis convaincu qu’ils vont faire leur marque.
Daniel JETTÉ