David Dorais, Les Cinq Saisons du moine (Fa)
David Dorais
Les Cinq Saisons du moine
Québec, L’Instant même, 2004, 153 p.
David Dorais n’est pas un inconnu des lecteurs de Solaris, puisqu’il y a publié trois nouvelles : « Le Saut du tigre » (nº 131), « Jackson à Colone » (nº 140) et, plus récemment, « Petit Guide illustré de la descente aux enfers », dans le numéro 149. À moins de distraction de ma part, Dorais n’avait jamais publié un texte de fiction ailleurs que dans nos pages ; ce recueil chez un éditeur qui a pignon sur rue est donc à saluer parce qu’il permettra de faire connaître à un plus large public une œuvre fantastique tout à fait particulière, sous la plume d’un jeune auteur talentueux, à la voix personnelle, érudite sans prétention, aux envolées lyriques et mystiques tempérées par un humour à froid.
Dorais ne reprend aucun texte déjà publié dans ce premier recueil pensé et rédigé autour d’un lieu thème, le monastère, cinq monastères différents, pour être plus exact, situés en des époques, des saisons et des lieux qui entretiennent d’étranges rapports avec le monde réel. Ce n’est pas toujours clair de savoir où et quand nous sommes, temps et espace se téléscopent, surnaturel et réflexion mystique achèvent de brouiller les pistes, le tout servi par une écriture remarquable. La première nouvelle, « La Folle du logis », donne le ton : on y suit les mésaventures pittoresques d’un jeune novice qui a de la difficulté à se contraindre aux idéaux de chasteté prônés par son ordre ; et ce n’est pas la lecture clandestine de L’Art d’aimer d’Ovide qui réussira à calmer les ardeurs qu’il éprouve envers la femme du bourgeois, qu’il n’a d’ailleurs jamais vue mais qu’on dit si belle que cela suffit à lui enflammer l’imagination. Après la lecture de ce petit bijou de bouffonnerie érudite, on n’est pas surpris d’apprendre que l’auteur prépare une thèse sur la poésie érotique à la Renaissance.
Les autres nouvelles sont moins souriantes, et l’irruption du surnaturel est plus marquée. Bouffonnerie et concupiscence y côtoient violence mystique et férocité. De fait, les deux nouvelles qui m’ont le plus plu, « Les Météores » et « Théodyssée ou la tentation solaire », sont très dures, voire même blasphématoires, surtout la seconde dans laquelle un vieux moine furibond veut faire ressusciter le Christ pour que ce dernier puisse se venger de l’humanité qui l’a sacrifié sur la croix. Un texte étonnant à tous les points de vue.
Sans doute s’agit-il d’un recueil qui gagne à ne pas être lu d’une traite. Si j’avais attendu quelques jours entre chaque texte, j’aurais peut-être porté plus attention aux deux nouvelles qui m’ont moins plu : « De la véritable nature de l’été » et « L’Entrelac de roses ». Il faut dire que dans ce dernier texte, les tortillements mystiques trop alambiqués sont venus à bout de ma bonne volonté ; une façon comme une autre de dire que je n’ai rien compris. Mais peut-être suis-je une personne trop rationnelle pour suivre Dorais dans les retranchements les plus obscurs de la métaphysique. Et de toute manière, cette réserve ne doit pas éclipser l’essentiel : Les Cinq Saisons du moine est un livre riche et surprenant que je recommande chaudement à tous les amateurs de littérature « autre ».
Joël CHAMPETIER