Frédérick Durand, Au rendez-vous des courtisans glacés (Fa)
Frédérick Durand
Au rendez-vous des courtisans glacés
Longueuil, La Veuve noire (Le Treize Noir), 2004, 344 p.
J’aime les livres dont le titre attire mystérieusement le lecteur. Au rendez-vous des courtisans glacés… mmm… intéressant, voire intrigant. Alors je l’ouvre, et je plonge dans un monde à première vue assez banal : Érik, jeune homme sans ambition particulière, travaille dans un club vidéo de Trois-Rivières, qui n’a lui-même rien de particulier. On y rencontre dès les premières pages la même clientèle que dans tous les commerces, avec les mêmes questions absurdes qu’ailleurs. Je souris d’ailleurs beaucoup à l’évocation de la clientèle : l’humour est là, présent dans chaque réplique et description. Qui a déjà travaillé dans un commerce se souviendra probablement avoir eu envie de commettre un horrible meurtre environ cinq fois par jour, puis de cacher les corps dans l’attente d’être découvert et que les journaux titrent : « Un commerçant craque »…
Tout cela pour dire qu’on croit au petit univers quotidien d’Érik, où rien ne se passe. Une des seules passions d’Érik est de dénicher des longs métrages underground, les plus rares et les plus décalés possibles. Jusqu’ici, rien de bizarre, jusqu’au jour où il croise le chemin de Patricia, belle et secrète jeune femme, personnification de l’amour. Banal ? Oui et non. Car tout peut alors commencer. Il met la main sur une cassette vidéo envoyée par un autre fou de cinéma underground : Au rendez-vous des courtisans glacés. Il la visionne avec Patricia et une bande d’amis. Fascinés par le film, ils cherchent à en savoir plus. C’est le début d’une véritable plongée en enfer, aux limites de la folie. On voyage au cœur de ce qui pourrait être un cauchemar éveillé : glauque, délirant, effrayant. La frontière entre rêve et réalité reste ténue et fragile.
Je dois dire que j’ai lu ce roman frénétiquement, comme piquée d’une curiosité maladive : il fallait que je sache… Jeune auteur de fantastique, Frédérick Durand signe chez la Veuve Noire, éditrice, un bon roman fantastique, que je qualifierais d’obsessionnel, hypnotisant et enveloppant.
Il y a des faiblesses. La structure est parfois floue : la multiplicité des événements nuit un peu à l’efficacité de l’intrigue, surtout au milieu du roman. Les personnages sont un peu trop nombreux : on en perd certains en se demandant où ils sont, puis ils réapparaissent à la scène suivante, sans qu’on sache vraiment ce qu’ils ont fait, ni où ils étaient, ce qui ajoute au trouble déjà créé par la question rêve/réalité. Mais le but est atteint : j’ai été intriguée, effrayée, dégoûtée, secouée de rire et de frissons. Ce qui aurait pu être bancal entre d’autres mains est rattrapé par l’imagination de l’auteur. Et c’est là toute la force de Frédérick Durand : son imaginaire débridé n’appartient qu’à lui, osant le burlesque et le gore délirant, alliant l’humour le plus noir au cynisme le plus glacé. Sans concession au bonheur.
Malgré les quelques réserves que j’ai décrites plus haut, Frédérick Durand a du talent. C’est un auteur à suivre, ça ne fait aucun doute. Est-ce que je parierais ma tête là-dessus si j’étais un personnage du roman ? Pas sûre, j’aurais un peu peur de finir sur la Roue de la Torture, ou d’être livrée à mes fantasmes les plus inavouables… Intrigués, hein ?
Pascale RAUD