Frédérick Durand, L’Île des cigognes fanées (Fa)
Frédérick Durand
L’Île des cigognes fanées
Longueuil, La Veuve Noire (Le Treize Noir), 2004, 408 p.
Dans Solaris 152, je vous ai parlé de cet auteur un peu particulier, qui avait alors signé Au rendez-vous des courtisans glacés, et dont les univers flous et burlesques n’appartiennent qu’à lui. Je vous disais également que le roman était faible sur le plan de la structure, et que les personnages, trop nombreux, auraient gagné à faire preuve d’un peu plus de charisme, mais que Frédérick Durand était un auteur à suivre, dont le talent lui permettrait de surmonter ses faiblesses. Piquée par la curiosité, j’ai lu L’Île des cigognes fanées dès sa parution. Si j’y ai retrouvé les qualités évoquées plus haut, j’y retrouve malheureusement aussi les mêmes défauts, avec quelques réserves supplémentaires.
Suite de Dernier Train à Noireterre (également paru chez La Veuve Noire), L’Île des cigognes fanées reprend le personnage d’Alain Dalenko, aujourd’hui professeur à l’École de l’épouvante de Noireterre. Sa classe n’est composée que de monstres, dont le point commun est d’être des suicideurs. Sa vie personnelle ne va pas très bien, il s’ennuie ferme, et sa relation avec sa petite amie Florence bat sérieusement de l’aile. Il songe à partir. Mais où ? Et dans quelles conditions ? Car il est bien connu que quiconque quitte le pays se transforme en monstre à son tour. C’est alors qu’un événement bouleverse à nouveau sa vie : pendant un cours particulièrement intense, il perd le contrôle de sa classe et manque de se faire tuer par un élève. La direction de l’école lui propose à ce moment-là d’être juge aux Jeux olympiques de Monochrome, moyennant quoi il obtiendra six mois de congés payés ainsi qu’un appartement de fonction plus grand. Alain accepte, et c’est alors que tout se gâte. Les Jeux olympiques sont malheureusement constitués de catégories aussi répugnantes que le lancer de zombie, le nautisme spectral, la saignée, le patinage horrifique, et bien d’autres réjouissances du même acabit. Alain a peur de ne pas supporter les épreuves, mais il a accepté et doit assumer jusqu’au bout, au risque de devenir à son tour un appât ou un outil s’il se rebelle ou abandonne. Plus tard, Alain est embarqué dans une aventure rocambolesque qui le fait basculer dans l’univers des médiums. On oublie alors les Jeux (il n’en est plus jamais question), et on sombre dans un cauchemar glauque. Je n’en dirai pas plus sur l’intrigue, car elle est à la fois complexe et terriblement simple.
Une originalité de l’histoire est que Monochrome est séparé en quartiers de couleurs bien distinctes, chaque couleur provoquant des comportements différents. Le rouge a une population plutôt agressive, le bleu est soporifique, le vert rend gentil et doux, le gris est neutre, le noir est invivable, etc. Alain loge dans le quartier bleu (ce qui le met en retard tous les jours, à cause de l’effet soporifique), après avoir logé dans un hôtel de passe du quartier vert, où il avait eu des problèmes dès le premier jour avec des gens du quartier rouge. Les Jeux se déroulent dans le quartier gris, seul endroit de la ville qui ne semble poser aucun problème aux « athlètes ».
Le concept des couleurs est original et drôle, provoquant des situations absurdes, mais encore une fois j’ai été déçue par le traitement des personnages (sans épaisseur et un peu trop nombreux), par la structure (complètement décousue), par l’accumulation de détails sanglants et gratuits, et par l’humour noir de la deuxième partie qui m’a simplement laissée perplexe. La conclusion est si rapide qu’elle m’a paru « garrochée ». Je me rends compte que je m’attendais à un genre, le fantastique ou l’horreur – au sens où je définis ce genre – alors que ce qu’écrit Frédérick Durand mériterait plutôt le qualificatif d’onirisme. Comme dans un rêve, ou un cauchemar éveillé, le burlesque flirte avec l’absurde le plus cynique, la structure est changeante, le contenu est flou, et… j’aurais parfois tout simplement voulu m’éveiller.
Pascale RAUD