Jean-Pierre Guillet, La Cage de Londres (SF)
Jean-Pierre Guillet
La Cage de Londres
Lévis, Alire, 2003, 243 p.
Croyez-vous à la synchronicité, cette variante existentielle de la loi des séries ? Moi oui… C’est un phénomène que j’ai expérimenté de manière spectaculaire à plusieurs reprises. En voici un bel exemple. Nous sommes à la mi-mars… Ce matin-là, au bulletin de nouvelles, ils ont annoncé le lancement d’une sonde spatiale européenne à destination de Mars depuis la base russe de Baïkonour. Ça tombe bien, mon cours de la journée porte sur les Chroniques martiennes (Ray Bradbury). Il sera largement question de Mars, d’Herbert Georges Wells, de La Guerre des mondes, d’Orson Welles et son adaptation radiophonique du 30 octobre 1938, de Fredric Brown et autres auteurs qui ont traité de la Planète rouge. En sortant de ma classe, j’ai fait un saut à la librairie coopérative de mon collège pour parcourir les rayons en quête de nouveautés. Une couverture a attiré mon regard. J’ai reconnu la touche Alire, mais aussi, curieuse coïncidence, les fameux tripodes martiens de La Guerre des mondes, immortalisés par les couvertures de livres, les illustrations de BD, les posters de film. Tiens, tiens, Jean Pettigrew aurait-il décidé de rééditer ce classique ? Livre en main, je découvre le titre : La Cage de Londres, qui ne me dit rien, le nom de l’auteur, Jean-Pierre Guillet, encore moins. Le sous-titre, par contre, m’indique que je n’avais pas tout à fait tort : « Un siècle après la Guerre des mondes ». Inutile de vous dire que ma curiosité était piquée. Il faut une certaine dose d’inconscience pour ainsi chausser les bottes d’un des grands auteurs classiques de la science-fiction et je dois avouer que ma première réaction en a plutôt été une de scepticisme. Mea culpa et coup de pied dans le baba ! La Cage de Londres est plus qu’une simple suite de La Guerre des mondes, c’est aussi un hommage réussi à H. G. Wells. Tout en proposant un récit très personnel, beaucoup plus psychologique que celui de son modèle, plus axé sur l’action, Jean-Pierre Guillet a parfaitement su respecter l’esprit de l’œuvre originale en en intégrant de manière subtile des éléments essentiels à la compréhension de sa suite. Le récit se déroule un siècle après la première invasion de la Terre par les Martiens. Cette première tentative s’étant terminée de manière tragique, les Martiens sont revenus. Et comme disait un Romain célèbre, cette fois c’est veni, vidi, vici ! Les Martiens sont les vainqueurs. Ils ont réduit les êtres humains en esclavage. Pire, l’humanité est le cheptel des « Maîtres » qui s’abreuvent de leur sang. Le récit principal s’articule autour de George, un jeune mâle qui noue une étrange relation avec un jeune Maître. Cela va lui permettre de faire d’étonnantes découvertes, notamment le talon d’Achille de la race supérieure. Une deuxième intrigue s’organise autour de Margie, une danseuse qui est la « maîtresse » d’un vieux Martien borgne qui l’emmène sur Mars. C’est l’occasion pour Guillet de nous peindre un tableau exotique, coloré, très réussi de la civilisation et de la technologie martiennes. Autre originalité de ce récit, Guillet nous propose les pensées des Martiens (ce que Wells n’avait pas fait). Présentées en italique, ces pensées autres témoignent d’une bonne maîtrise de ce qu’on pourrait appeler la formule SF : trouver un équilibre entre le degré d’étrangeté que nécessite la description de l’ailleurs ou de l’autre, et la faculté de compréhension du lecteur. Exercice difficile, casse-gueule dont Guillet se tire avec bonheur. La Cage de Londres est un complément fascinant du récit de H. G. Wells, dont la lecture m’a rappelé tout le plaisir qu’on peut éprouver à la lecture d’un bon roman de science-fiction, genre auquel je fais pourtant des infidélités répétées depuis plusieurs années. Quant à Jean-Pierre Guillet, né en 1953, il est, entre autres, l’auteur de plusieurs romans jeunesse, et enseigne la biologie au Collège de Saint-Jean-sur-Richelieu. C’est là son premier roman pour adultes. On espère qu’il y en aura beaucoup d’autres de ce calibre.
Norbert SPEHNER