Philippe Navarro, Delphes (SF)
Philippe Navarro
Delphes
Québec, Sylvain Harvey (Voyages dans l’imaginaire), 2005, 257 p.
Véritable ovni dans le paysage littéraire de la SFQ, Delphes est un roman de SF pure et dure, un hommage avoué au classique d’Arthur C. Clarke : 2001, l’odyssée de l’espace. Non seulement la structure du roman de Clarke sert de modèle à celle de Delphes, mais ses éléments et son intrigue en constituent un arrière-plan mythologique, le « mythe halien » étant tiré d’une « tragédie classique du répertoire romano-américain clarkien ».
Nous sommes au VIIe siècle de l’Ère parousique, à peu près 1 000 ans dans le futur, notre futur, une considération centrale au roman et à son intrigue. Paul Kass, historien attaché à l’Université de Seattle, commande une petite équipe de scientifiques à bord du vaisseau interstellaire Delphis, chargés d’aller « réparer » la paire de radio-interféromètres installés à 926 années-lumière de la Terre. C’est le projet Historia, conçu pour capter « en prise directe » la totalité des ondes radio émises depuis 1936 par l’humanité, une façon de connaître plus en détail ce XXe siècle lointain et agité. Or l’histoire révélée par le projet Historia ne correspond pas à celle des documents historiques ! Que se passe-t-il ?
La première qualité de Delphes est cette superbe idée de base, que je ne déflore pas puisqu’elle est exposée dans les premières pages du livre. Il y en a beaucoup, d’ailleurs, des idées dans ce roman, avec lesquelles jongle un nouvel auteur qui maîtrise le vocabulaire techno-scientifique, oui, mais qui démontre aussi une compréhension, à des degrés divers, des enjeux historiques et philosophiques de la connaissance. Avant d’atténuer la tonalité jusqu’ici positive de ce commentaire, mettons au clair que je recommande chaudement ce livre aux amateurs de SF hard, et le considère comme une lecture obligatoire pour tous les amateurs et les spécialistes de la SFQ. C’est d’autant plus important de le dire que la distribution semble confidentielle, et comme la facture du roman fait penser à de l’auto-édition – ce n’est pas le cas –, on pardonnerait à l’acheteur de se méfier s’il tombait dessus par hasard.
Ceci étant dit… il s’agit d’un premier roman. Qu’on soit prévenu : la galerie de personnages à bord du Delphis est à des années-lumière du laconique duo qui habite le Discovery du film de Kubrick. Ces scientifiques-ci sont bavards ; un aspect qui n’est pas irréaliste quand on connaît de vrais scientifiques, surtout que ces dialogues sont intéressants et même parfois carrément brillants. Sauf que les personnages se répètent – on le tolère dans la vraie vie, mais c’est un délit en littérature.
Ma principale réserve est plus profonde et rejoint – dans un autre registre – ma déception à la sortie de la projection du King Kong de Peter Jackson. Dans les deux cas nous avons affaire à des créateurs qui ont déployé beaucoup d’efforts et de talent pour rendre hommage à des œuvres qui les ont marqués, mais qui dans les deux cas n’ont pas réussi à les actualiser de façon satisfaisante. Il se dégage de Delphes, malgré ses qualités, malgré ses idées fascinantes, un parfum suranné, que ce soit sur le plan des techniques littéraires ou celui des idées. L’œuvre est d’ailleurs si dense qu’on pourrait y consacrer un article – cela déborderait le cadre de cette recension, qui se terminera avec la question suivante : que va écrire Philippe Navarro maintenant ? Pour ma part, j’ai bien hâte de voir.
Joël CHAMPETIER