Claude Janelle (dir.), La Décennie charnière (1960-1969)
Claude Janelle (Dir.)
La Décennie charnière (1960-1969)
Lévis, Alire (Essais 005), 2006, 327 p.
Après avoir dirigé la série des ASFFQ (Alire) qui analyse les années 1984 à 2000 (en sautant provisoirement quelques années), puis l’ouvrage Le XIXe siècle fantastique en Amérique française (également aux Éditions Alire) qui remonte aux origines du genre, Claude Janelle, qui est entre autres membre fondateur du Grand Prix de la Science-fiction et du Fantastique Québécois, continue son travail de fourmi avec La Décennie charnière qui couvre les années 1960 à 1969. De fourmi, dis-je, car c’est un travail de longue haleine : armé de sa fidèle équipe de critiques spécialisés (présentés en fin d’ouvrage), Claude Janelle recense, présente, résume et propose une analyse critique de toute la production des nouvelles et romans en science-fiction et fantastique au Québec pendant cette période, soit 161 créations au total.
L’ouvrage se divise en deux parties. La première fait la recension des fictions (nouvelles et romans), classées par ordre d’auteur. La deuxième est constituée des treize nouvelles qui ont été retenues comme étant les plus représentatives de la période. Pourquoi ces années-là en particulier ? La présentation nous explique qu’il s’agit d’une période pendant laquelle la société québécoise a grandement évolué : chaque révolution, aussi tranquille qu’elle soit, a sa littérature. On perçoit dans la production de cette période une transition discrète mais bien réelle qui marque le début d’une littérature moins classique au Québec ; ce qu’on appelle aujourd’hui la littérature de genre. J’ai découvert que des auteurs qui font partie du paysage littéraire québécois actuel, dans ce qui est considéré comme littérature générale, ont commencé par écrire des nouvelles de science-fiction ou de fantastique. Quelques exemples ? Roch Carrier, qui a beaucoup produit dans le genre entre 1964 et 1969, puis a arrêté complètement. Michel Tremblay, avec son recueil Contes pour buveurs attardés en 1966 et le roman La Cité dans l’œuf en 1969 : il a ensuite écrit l’œuvre qu’on lui connaît, pour revenir cette année en force dans le fantastique avec Le Trou dans le mur paru en novembre chez Actes Sud. D’autres auteurs m’ont surprise tels que Jean Hamelin, Adrienne Choquette, Yves Thériault, Suzanne Martel ou Henriette Major (les chansons pour enfants aux éditions Fides, ça vous dit quelque chose ?). J’y ai aussi retrouvé l’excellente Esther Blackburn (mieux connue sous le nom d’Esther Rochon) qui a, elle, continué dans le style. À la lecture des treize nouvelles présentées dans la deuxième partie, j’ai été étonnée à la fois par la grande modernité des histoires, et par la pertinence des thèmes traités.
Évidemment, je ne parlerai pas de tous les auteurs, l’ouvrage le fait très bien déjà. Je dirai simplement que pour une Française comme moi (personne n’est parfait) qui a toujours et encore à apprendre sur son pays d’accueil, mais aussi pour tous ceux qui s’y intéressent, l’ouvrage a une grande utilité : il me permet de mieux saisir l’histoire de la littérature de genre au Québec. Rien ne peut croître sans avoir d’abord plongé ses racines dans un terreau déjà existant : la littérature moderne ne fait pas exception ; elle évolue à partir d’une tradition littéraire déjà bien ancrée dans la première moitié du XXe siècle. Les auteurs de science-fiction et de fantastique québécois d’aujourd’hui en sont les dignes enfants.
La Décennie charnière est donc de ces ouvrages d’intérêt général qui deviennent vite des classiques de référence dont les prochaines générations pourront se servir avec confiance.
Pascale RAUD