Frédérick Durand, La Nuit soupire quand elle s’arrête (Fa)
Frédérick Durand
La Nuit soupire quand elle s’arrête
Longueuil, La Veuve Noire, 2008, 311 p.
Ayant accumulé le prix Solaris 1998, onze romans, deux recueils de poésie et un recueil de nouvelles, le tout chez plusieurs éditeurs, ainsi que de nombreuses nouvelles dans différents périodiques, est-il encore nécessaire de présenter Frédérick Durand ? Pourquoi pas ? Professeur trifluvien de littérature, il est également musicien (ayant participé à l’hommage au cinéaste Lucio Fulci, A symphony of fear, paru en 1999) et grand amateur de surréalisme et de cinéma, surtout celui de l’Europe des décennies 1960-1970.
Son tout récent roman fantastique, La Nuit soupire quand elle s’arrête, publié chez La Veuve Noire, raconte l’histoire d’Ariane, une jeune femme qui s’amuse à vagabonder entre la réalité et son monde intérieur où cohabitent les fantasmes les plus fous et les cauchemars les plus noirs. Vivant seule dans un manoir immense, elle se croit la reine absolue de son existence et surtout de celles des autres. Mais voilà que survient Adèle, une maquerelle poursuivie par la police, avec le projet de transformer l’endroit en un bordel bien particulier. Ariane y voit un moyen de tromper sa solitude, d’attirer de nouveaux pions dans son jeu… mais elle découvrira du même coup que la nuit approche, et que ses soupirs sont terribles !
Dès les premières lignes de ce roman, l’ambiance étrange et glauque happe le lecteur et l’emprisonne dans un univers gothique, chargé d’érotisme et d’une terreur imminente. Cette ambiance, habilement tissée par Durand, rappelle celle des meilleurs films de Jean Rollin, Dario Argento, Lucio Fulci, pour ne nommer que quelques-uns des maîtres du cinéma d’horreur européen. Mais n’oublions pas les influences littéraires : les amateurs de Lovecraft, Lautréamont, Sade, Marcel Béalu, entre autres, y trouveront leur compte. La Nuit soupire quand elle s’arrête rassemble en une même histoire les multiples talents de l’auteur : un style d’écriture à la fois poétique, surréaliste et précis, des images puissantes créées en une phrase seulement, une intrigue surprenante et des personnages aussi intriguant qu’attachants. Les paysages dépeints appartiennent-ils au monde des rêves ou à une réalité étrange ? Tout au long du récit, le doute nous accompagne et ne nous abandonne qu’à la toute fin, dans les ténèbres de la fatalité. S’agit-il du meilleur livre de Durand ? Je ne saurais dire parce que son recueil de nouvelles À l’intention des ombres, paru chez Vents d’Ouest, s’avérait très efficace et avait reçu une critique fortement positive (Solaris 167). Il y était mentionné que ce recueil dévoilait « un concentré brut de son talent d’écrivain » alors que ses romans Au rendez-vous des courtisans glacé (Solaris 152) et L’Île des cigognes fanées (Solaris 153) contenaient plusieurs failles au niveau de la forme et du fond. Selon moi, La Nuit soupire quand elle s’arrête représente un bien meilleur roman que ceux-ci mais parvient-il à s’élever au-dessus d’À l’intention des ombres ? Je dirais qu’il est bon égal, ex aequo sur le plan de la qualité et de l’originalité. Amateurs de fantastique, emprunterez-vous ce chemin à la limite du réel vers ces landes langoureusement dangereuses ?
Jonathan REYNOLDS