Joël Champetier, Le Voleur des steppes (Fy)
Joël Champetier
Le Voleur des steppes
Lévis, Alire (Romans 103), 2007, 623 p.
Un homme sans mémoire avec un tatouage à la hauteur du cœur se réveille dans une minuscule cage. Dans une autre cage, une jeune femme le dévisage. Elle possède quatre bras, quatre mains et deux paires de seins. À l’instar de l’homme, le lecteur est déstabilisé, car dès les premières lignes de ce nouvel opus de Joël Champetier, on plonge dans un univers insolite et mystérieux peuplé d’esclaves, de galériens, de pirates, de chenilles agressives et de morts-vivants. Rien à voir avec la trame ludique et le monde fantaisiste du précédent ouvrage de l’auteur, Les Sources de la magie, qui se déroulait pourtant dans le même monde de Contremont.
Amnésique, blessé au dos par un coup de poignard et réduit à l’état de prisonnier, Yarg doit s’en remettre à Sarouelle, orpheline aux mœurs légères et à l’humeur primesautière, afin de mettre en perspective le monde dans lequel il se réveille. Expiateurs désignés par les gardes de Rebèq, les deux prisonniers doivent leur libération à un vendeur d’esclaves. Mais ce dernier s’empresse de les refiler à l’armateur Fasce le Quatorzième Sublime, capitaine de la Diamantine qui fait route vers Pinacle, la Cité Parfaite. À bord du bateau, Sarouelle, qui répond désormais au prénom de Perlustre, est considérée comme une invitée parmi la délégation des notables tandis que Yarg rejoint les rangs des galériens. Harassé par l’effort physique, incapable de percer la zone d’incertitude, d’angoisse et d’ombre qui l’entoure et qui échappe à sa compréhension, il tente de s’adapter aux sessions de travail et d’éviter les foudres des gardes-chiourme. L’attaque de créatures aquatiques entraîne le naufrage de la Diamantine. Les survivants sont au nombre de quatre : Fasce, Perlustre, le colosse muet Panserfio et Yarg.
Rescapés par des représentants de Pinacle, Yarg et ses compagnons sont désormais les hôtes de Fasce le Quatorzième Sublime. Leur séjour en cette merveilleuse cité représente un moment d’accalmie après les souffrances et les épreuves des jours précédents. Leur guide, Scquère Passé le Cent seizième, les pilote à travers l’ancienne cité et la visite du Temple plasmique est fort impressionnante. Ils apprennent que dix-sept familles composent la population hétéroclite des Héritiers : ce sont les Fasce, les Scquère, les Yohimbine, les Kaliemme, etc.
Lors d’une échauffourée avec les Kaliemme, Yarg se révèle maître d’armes ; sa dextérité, sa promptitude à parer les coups et son aptitude à manier l’épée ne mentent pas. Il a peut-être déjà reçu une formation de soldat. Pareil savoir s’avère utile lorsqu’il vient à la rescousse de Perlustre et de la domestique Qiql. Devenu indésirable au sein de la Cité Parfaite, le trio, qui se transforme en quatuor avec la venue de Qiql, embarque à bord de la Guilloche.
Alors qu’ils sont en route pour Port Soleil, ville natale de Dariole – le nouveau nom de Perlustre –, le capitaine Ignace le Catonien, à la fois magicien, chercheur et historien, profite de la traversée pour soumettre Yarg au Dénantisseur panmagical d’Oloture. Mais en dépit de ce que révèle l’appareil, le mystère continue de s’épaissir autour de Yarg. Il trouvera la réponse à ses questions à Port Soleil, après s’être mesuré aux étranges cacosmes, puis c’est en véritable héros qu’il se présentera devant son souverain.
Le récit de Champetier fourmille de trouvailles ingénieuses, de néologismes farfelus et le discours truculent de Sarouelle ajoute une note de légèreté qui compense la narration de séquences d’événements répétitifs. Malgré plusieurs épisodes pittoresques qui rendent compte de la créativité éclatée de l’auteur, le souci du détail et de la description alourdit le récit. Quelques péripéties auraient gagné à être raccourcies, car à certains moments, le rythme de l’histoire est lent. Est-ce une façon de compenser l’absence de souvenirs de Yarg en mettant l’accent sur une multitude d’éléments secondaires ? Paradoxalement, l’histoire regorge de personnages trop vite esquissés ou de bizarreries sur lesquelles on glisse trop rapidement. L’auteur indique qu’il a incorporé en les réécrivant des passages empruntés à deux de ses romans de la collection Jeunesse-pop (Médiaspaul). D’où peut-être le sentiment que le récit s’adresse parfois à un plus jeune lectorat déjà familier avec quelques personnages et/ou éléments fantaisistes.
L’idée d’une quête identitaire indique que la recherche de Yarg pour donner un sens à sa vie est un commencement qui s’avère une fin en soi. Quelques bribes de souvenirs confus tentent d’émerger à la surface, mais ne peuvent pénétrer le champ de sa conscience. Il n’y a pas de travail d’introspection mais plutôt un apprentissage de soi au fil des dures épreuves physiques et des souffrances endurées. Les cauchemars de Yarg ne font qu’accroître la distance entre lui et le champ de sa conscience et montrent comment le personnage est loin de connaître la vérité quant à son identité. Port Soleil est la destination ultime qui s’inscrit comme lieu d’une quête de sens et aussi de désenchantement face à la cruelle réalité des faits.
Joël Champetier explore encore davantage la notion de quête du passé. En effet, la variation de voix narratives dans Le Voleur des steppes – je pense à la rédaction des mémoires de Panserfio – permet d’établir un retour dans le passé et de situer le personnage dans sa vie antérieure. La thématique du retour aux origines est présente de long en large du roman. Sarouelle retourne à Port Soleil, sa patrie, où elle a connu tous les bonheurs et les émois de l’enfance ; Panserfio consigne par écrit les épisodes heureux de sa propre enfance et son incarcération au cœur des mines d’argent de l’île du Croc ; Cent seize relate les origines de la Grande Race et son départ pour Lyrevië. Sans souvenirs précis, où pourtant domine la tonalité affective et émotionnelle de la personnalité de Yarg, ce dernier retourne à son insu sur les lieux où s’est déroulé le drame qui a causé son amnésie. Mémoire, souvenir, rétrospection et réminiscence sont ici les traits dominants dans l’œuvre de Champetier.
Le Voleur des steppes est un roman où suspense, sensualité et humour se donnent rendez-vous pour former le plus extravagant des voyages sur la mer Tramail.
Estelle GIRARD