Mario Rossignol et Jean-Pierre Ste-Marie, Agrippa le livre noir (Fa)
Mario Rossignol / Jean-Pierre Ste-Marie
Agrippa, le livre noir
Waterloo, Michel Quintin, 2006, 348 p.
Sous une belle couverture à la fois sobre et un peu inquiétante, voici un roman concernant un autre livre, lui franchement dangereux et venu d’Europe, un des grimoires de magie noire surnommés « agrippas » en référence à Henri Corneille Agrippa, le fameux occultiste français du XVIe siècle.
L’agrippa, connu ici et là sous d’autres noms (Egremont, Egromus, Ar Vif ou encore An Negromans) est lié de près à la magie noire en Bretagne dont il est assurément le plus extraordinaire et le plus impressionnant des grimoires. D’une hauteur proche de la taille d’un homme, l’agrippa a été signé par le Diable en personne et ses pages rouges contiennent le nom de tous les démons et la façon de les évoquer. La légende dit que c’est un livre vivant et qui doit être enchaîné et suspendu à une poutre tordue pour être momentanément mis hors d’état de nuire. Car se débarrasser d’un agrippa n’est pas une mince affaire, surtout lorsqu’il s’agit d’un exemplaire qui a échappé au contrôle des religieux, les seuls êtres humains capables de se mesurer efficacement à lui.
C’est justement un de ces agrippas momentanément perdus de vue par l’Église qui se retrouve au centre du thriller fantastique de Mario Rossignol et Jean-Pierre Ste-Marie. Pire, cet agrippa a traversé l’Atlantique au XIXe siècle pour se retrouver dans l’arrière-pays québécois où il va être enterré en 1855 dans une église, au cours d’une soirée dramatique dont la relation ouvre de manière fort dynamique le roman. Mais, comme le savent bien tous les amateurs de fantastique, il suffit qu’on croie une horreur mise hors d’état de nuire pour qu’elle finisse par refaire parler d’elle un jour où l’autre…
Pour l’agrippa prisonnier de l’église St. Matthews, l’attente durera jusqu’en 1925 lorsqu’un mystérieux docteur nommé William Black arrive d’Angleterre pour s’installer non loin de là. Black est un magicien noir dont les connaissances n’ont d’égal que l’avidité et l’aveuglement. Il est donc apparemment l’homme idéal pour utiliser le monstrueux grimoire à des fins dévoyées. Mais peut-on vraiment manipuler un agrippa dont les pages sont imprégnées du souffle de Satan ? Peu de temps après l’arrivée de Black, le Mal semble se répandre dans la campagne québécoise et l’évêché de Valleyfield décide d’envoyer de toute urgence le père Laberge, un bien curieux prêtre aux « talents » pour le moins particuliers…
Sur un scénario relativement simple à la base, Mario Rossignol et Jean-Pierre Ste-Marie ont réussi à tisser une histoire à suspense prenante, bien documentée et qui a quelques vrais morceaux de bravoure à son palmarès. Là où on pouvait s’attendre à un roman « du terroir » mâtiné de sorcellerie campagnarde, on se retrouve avec une histoire qui rappellerait plutôt un Graham Masterton dans ses bons moments. À tel point d’ailleurs qu’on regrette un peu que le côté « vécu » de ce Québec rural des années 1920 ne soit en fin de compte pas plus fouillé… Mais ce petit travers n’empêche pas Agrippa, le livre noir d’être une des bonnes surprises du fantastique francophone de l’année 2006, ainsi qu’un thriller surnaturel susceptible d’être aisément adapté avec succès pour la télévision ou le cinéma…
Pour terminer, ceux qui désireraient en savoir plus sur les agrippas peuvent lire avec profit l’ouvrage de Pierre de la Haye, Agrippa, le grimoire des anciens bretons, publié en 2003 par les éditions Coop Breizh.
Richard D. NOLANE