Carlos Taveira, La Traversée des mondes (Fa)
Carlos Taveira
La Traversée des mondes
Ottawa, L’Interligne (Vertiges), 2011, 561 p.
D’origine angolaise, Taveira a signé une version antérieure de ce roman en portugais, Mateus da Costa e os Trilhos de Megumaagee, en 2006. La version française, quelque peu remaniée, est rédigée dans une langue remarquablement maîtrisée malgré quelques maladresses qui rappellent que le français n’est pas la langue maternelle de l’auteur. Elle présente une histoire double. D’une part, Mario Estéban est un immigrant chilien à Montréal au tournant du XXIe siècle qui est embauché par l’agence de voyage de Matt Lacoste. D’autre part, Mateus da Costa est le fils d’un noble du royaume du Congo à la fin du XVIe siècle. Ses aventures au service des Portugais, puis des Français et des Hollandais, amèneront le voyageur africain à visiter le Canada au tournant du XVIIe siècle, en compagnie de Champlain. Les deux intrigues se croisent lorsque Mario tombe sur un fichier qui détaille les aventures de Mateus.
Celui-ci a fini par faire naufrage au large du Canada, où il est recueilli par la tribu algonquine des L’Nuk et s’installe dans le village de Megumagee au sud de la Nouvelle-Écosse actuelle. Mateus fait la connaissance d’un vieux sage, Timi-Goateng, qui va l’initier aux voyages par les chemins cachés qui permettent de transcender l’espace et peut-être le temps. C’est alors que le roman historique – puisqu’un interprète noir appelé Mathieu de Coste a bel et bien visité le Canada en même temps que Champlain – bascule dans le fantastique. Petit à petit, Mario Estéban pressent l’impossible vérité : le Montréalais Matt Lacoste n’est autre que Mateus da Costa, qui a survécu aux siècles grâce à sa maîtrise du temps et de l’espace. Le vieil aventurier succombe durant un voyage par les chemins cachés alors qu’il a cédé à la tentation de visiter le Congo actuel. Il a toutefois eu le temps d’initier Mario aux voyages par ces sentiers invisibles.
Comme roman historique, La Traversée des mondes présentait déjà l’intérêt de mettre en scène de manière fort documentée une période peu connue et des personnages sous-exploités, avant même la fondation de Québec. Taveira a choisi un héros qui sort de l’ordinaire et qui nous fait redécouvrir tout ce que l’histoire canadienne a eu de pittoresque, d’héroïque et de tragique à cette époque. Le style est riche et imagé. Taveira varie ses effets, se montrant tour à tour enjoué, cru, philosophe et fin psychologue. L’élément fantastique relie ce passé au présent pour restituer à la grisaille montréalaise un peu de la vie haute en couleurs de l’existence des premiers explorateurs européens et des premiers occupants du territoire canadien. La verve et les rebondissements de la narration font du roman de Taveira une fusion réussie qui allie une humanité réelle à des aventures palpitantes. Le résultat surprend et déroute parfois, mais il est souvent jouissif à souhait.
Jean-Louis TRUDEL