Francine Pelletier, Un tour en Arkadie (SF)
Francine Pelletier
Un tour en Arkadie
Lévis, Alire (Romans 125), 2009, 334 p.
Frédérique Laganière est capitaine du Gagneur, un astronef transportant des passagers ou du fret dans le système de Cristobal. Elle mènerait une vie plutôt tranquille si ce n’était de son associée, Christane Kurtz, une « amoureuse compulsive » multipliant les flirts sans lendemain. Parce que Christane a froissé une employée du bureau du Répartiteur de la Guilde des transporteurs spatiaux, le Gagneur est cloué au dock depuis bientôt trois semaines. Or, la jeune pilote aux mœurs légères vient tout juste de dénicher un client potentiel : Nicola Piccino, un individu un peu louche ayant assez d’influence pour obliger le bureau du Répartiteur à confier le contrat au vaisseau de son choix. Aussi Frédérique saute-t-elle sur cette occasion de quitter enfin l’astroport cristobalien. Après tout, Piccino désire simplement rentrer chez lui, sur Arkadie, afin d’y livrer des médicaments et de la machinerie agricole.
À l’approche de la station orbitale arkadienne, toutefois, le passager détourne inopinément l’astronef, obligeant Frédérique et Christane à abandonner le Gagneur et à se poser illégalement sur la planète, à bord d’une barge de secours. Bien malgré elles, les deux Cristobaliennes se retrouvent aussitôt plongées au cœur d’une guerre civile opposant les Arkadiens loyalistes, qui considèrent les colonisateurs terriens comme les « propriétaires » de la planète, et les Arkadiens nationalistes, qui refusent de voir la gestion des ressources arkadiennes remises aux mains de compagnies étrangères. Quel rôle occupe Piccino dans ce conflit ? Est-il un trafiquant d’armes, comme le craint Frédérique, ou un trafiquant de drogue, comme le prétend Carl Méline, le chef des mercenaires cristobaliens qui épaulent les loyalistes ? Quoi qu’il en soit, Frédérique et Christane réalisent avec terreur que si elles veulent retrouver un jour le Gagneur et rentrer chez elles, elles n’auront d’autre alternative que de choisir leur camp.
Francine Pelletier, grande dame de la science-fiction québécoise, signe avec Un tour en Arkadie un planet opera absolument enlevant. L’univers qui y est mis en scène est à la fois fort complexe et désarmant de cohérence, de logique. Alors que la description des rapports entre la Terre, les différents peuples de Cristobal et ceux d’Arkadie aurait facilement pu s’avérer confondante, voire assommante, elle se révèle ici d’une grande limpidité, et c’est par le regard de Frédérique que le lecteur découvre peu à peu les véritables et fascinants enjeux du conflit arkadien. Pour paraphraser Élisabeth Vonarburg à propos des Jours de l’ombre – un autre excellent roman de Pelletier –, l’écrivaine « est dans les détails, et ce sont eux qui donnent au récit sa profondeur » (voir Solaris 150) et son charme. La langue parlée par les habitants d’Arkadie constitue, par exemple, un aspect plutôt intéressant de cet univers romanesque. Nombreuses sont les œuvres de SF dans lesquelles l’ensemble des protagonistes s’expriment dans un dialecte universel (le plus souvent en anglais) qui acquiert de ce fait un statut quasi magique. Pelletier a plutôt choisi de faire parler ses Arkadiens en espéranto, ceux-ci étant après tout des descendants de colonisateurs italiens, russes, chinois, etc. Logique !
On l’aura compris, Un tour en Arkadie diffère de Si l’oiseau meurt – le précédent roman de Francine Pelletier – sous plusieurs aspects. Alors que celui-ci se faisait beaucoup plus intimiste, mettant l’emphase sur la situation émotive particulière du personnage principal, Un tour en Arkadie renoue avec l’action, l’aventure et le dépaysement chers à la SF. Le dernier opus de Francine Pelletier présente néanmoins quelques références à Si l’oiseau meurt, Frédérique Laganière étant nulle autre que la fille de Manu, le principal protagoniste de ce précédent roman. La capitaine du Gagneur possède en outre le même nom que le tuteur de son défunt père. Ceci dit, Un tour en Arkadie peut aisément se lire séparément. Il s’agit, en somme, d’un captivant roman de SF proposant des personnages féminins très articulés et témoignant une fois de plus du grand talent de Francine Pelletier. Seule petite déception : on aimerait, au terme de notre lecture, que cette œuvre soit en fait le premier volet d’une série telle que Le Sable et l’Acier, afin de pouvoir faire un autre petit tour en Arkadie…
François MARTIN