Frédérick Durand, La Maison au fond de l’impasse (Fa)
Frédérick Durand
La Maison au fond de l’impasse
Gatineau, Vents d’Ouest (Fantastique), 2011, 152 p.
Enfin ! Le nouveau rejeton sombre de Frédérick Durand hante les librairies !
Dès qu’on le voit, nos yeux se rivent à cette couverture qui montre une illustration magnifique, à la fois évocatrice et mystérieuse. Ce paysage presque totalement noyé de brouillard suggère l’ambiance glauque et onirique du roman. Et tout au fond, entre l’église et la maison, un néant de brume… l’impasse.
À chaque nouvelle publication de Frédérick Durand, je suis toujours séduit par ses titres, autant par leur sonorité que par leur originalité. Je pense entre autres à l’excellent Comme un goût d’aurore sur une idée fixe. Et dans le cas de La Maison au fond de l’impasse, c’en est un diablement bon : intriguant, un brin classique mais sans tomber dans la redite. On peut y voir à la fois un clin d’œil aux films d’épouvante chers à l’auteur (La Dernière Maison sur la gauche, par exemple) et une invitation à un voyage surréaliste dans la noirceur de l’ailleurs comme seul Frédérick Durand peut en imaginer.
C’est l’histoire de Marc Leblanc qui perd peu à peu le moral, puis la raison, à la suite du départ de sa femme et de sa perte d’emploi. Il s’engage sur une route épineuse en prenant la décision de mettre son destin entre les mains du diable, un chemin sournois qui mène tout droit à un cul-de-sac, l’Enfer.
L’habile narration à la première personne, au présent, happe le lecteur dès les premières lignes et le glisse dans la peau de Marc Leblanc, ce personnage bien dépeint, vivant. Malgré sa profonde dépression et sa recherche de sens, on s’attache rapidement à lui, à ses faiblesses tangibles, concrètes.
Les lieux, au début clairement définis deviennent de plus en plus flous, comme la vie de Leblanc, comme ses pensées, de plus en plus envahis par cette brume cauchemardesque,
Comme pour ses précédentes œuvres (À l’intention des ombres, La Nuit soupire quand elle s’arrête, entre autres), l’auteur affine un style déjà bien à lui, une plume unique, qui lui a valu nombre d’éloges et de récompenses méritées. Son talent se révèle à chaque mot, juste et bien choisi, qui, à la suite des autres, accouche de phrases aussi poétiques que macabres : « C’est un matin blême, pâle comme un visage de jeune morte. »
Les phrases, les paragraphes s’accumulent, créent page après page un rythme lancinant, hypnotique jusqu’à devenir carrément obsessionnel. Le lecteur n’a pas le choix : il étouffe de plus en plus, prisonnier de l’esprit d’un homme qui perd la raison. « J’habite une maison bizarre, anguleuse, tout droit sortie d’un rêve fiévreux. » Et dans cette demeure, les insectes pullulent, les murs soupirent et « la nuit gratte à la fenêtre pour entrer »… Vraiment, les descriptions des visions de Leblanc contaminent le lecteur qui commence lui-même à douter de la réalité. Est-ce seulement la folie ou… une brèche vers les landes infernales ?
Ce doute propre au fantastique, Frédérick Durand en est un maître : il ensorcelle quiconque ose lire ses écrits étranges et initie la fissure qui grandit, au fil de la lecture, dans l’imaginaire de ses victimes… victimes consentantes !
Par son ambiguïté, la finale surprenante, puissante, abandonne le lecteur dans l’impasse, oui, tout au fond de l’impasse, là où le Malin l’attend…
Jonathan REYNOLDS