Héloïse Côté, La Tueuse de dragons (Fy)
Héloïse Côté
La Tueuse de dragons
Lévis, Alire (Romans 134), 2010, 473 p.
De prime abord, on peut être rebuté par la longueur du récit. Les intrigues et les rebondissements abondent et se succèdent à un rythme effréné. Tout ce contenu n’en génère pas moins des réflexions pertinentes, autant psychologiques, que sociales et philosophiques.
Au royaume de l’Austrion, une jeune tueuse de dragons nommée Deirdra (ce nom renvoie à Deirdris, esprit du feu), est interpellée par un détachement de soldats commandé par le capitaine Thad et envoyé par le seigneur Horacius. Ils seront tous capturés par les hommes du seigneur Lanfas, soupçonnés d’avoir tué des devineresses. Ces dernières jouent un rôle important dans le récit pour le contact qu’elles établissent entre la nature et l’humain mais surtout pour leurs connaissances des dragons. C’est pourquoi j’aurais souhaité qu’elles occupent un peu plus d’espace dans l’histoire. Elles incarnent l’influence que les femmes exercent dans cet univers composé presque essentiellement d’hommes.
L’intérêt de ce roman repose en grande partie sur l’appropriation et la redéfinition de règles et de conventions relatives aux histoires de fées et de dragons. J’apprécie la rigueur dont Héloïse Côté fait montre, entre autres dans les descriptions détaillées, comme par exemple les caractéristiques attribuées aux différentes variétés de dragons : colossius, minusius et sournius. Cette « nomenclature » fictive confère de la crédibilité à cet univers.
Le personnage de Deirdra reflète également cette tentative de redéfinition du genre par son ambivalence et sa vulnérabilité qu’on découvrira en prenant connaissance de son passé trouble. Il faut comprendre que devenir tueur (tueuse) de dragons dans cet univers signifie être mis au ban de la société. On apprend que Deirdra a été abusée sexuellement par son maître tout au long de son apprentissage. En outre, elle a développé une dépendance à une drogue composée de sang de colossius et de plantes. Pour cette raison, elle encourt le mépris de son entourage. Reconnaissons à l’auteure le mérite d’avoir su protéger l’intériorité et la part de mystère de ce personnage.
Le profil de ce dernier remet un peu en cause le statut du héros qui perd de son invincibilité. Deirdra et Thad peuvent être considérés comme les héros, ou devrions-nous plutôt dire les antihéros, de l’histoire car ils ont besoin l’un de l’autre pour trouver un objet qui attire les dragons. Leur relation semble inachevée, mais on sent que l’amour est possible vers la fin. Une pudeur dans leurs sentiments s’oppose à la trivialité et à la violence qui caractérise la plupart des situations. L’amour ne tient pas une grande place dans le roman mais, dans le cas de ces deux personnages, il prend une dimension d’autant plus profonde qu’il est difficile à apprivoiser.
Héloïse Côté dépeint et dénonce efficacement les abus et la cruauté dont font l’objet les femmes et les enfants destinés à devenir des tueurs de dragons, aspects qui rappellent un peu les problèmes de maltraitance vécus par les jeunes dans la société actuelle et à plusieurs époques. Ce ton revendicateur renforce la pertinence de la démarche de l’auteure qui, à travers tous ces personnages de marginaux, s’intéresse à l’être humain. Il fallait une capacité d’imagination et d’analyse hors du commun pour transposer habilement ces problématiques sociales dans un univers féerique.
Une dimension spirituelle s’ajoute à ces réflexions, mais les devineresses qui l’incarnent s’opposent à la quête de Deirdra dont la mission sur terre se limite à tuer des dragons : « […] Elle n’avait jamais parlé à une messagère des esprits de la nature auparavant. Elle avait toujours évité de rencontrer des devineresses, convaincue que celles-ci, à l’instar de tous les habitants de l’Austrion, maudissaient sa profession et tout ce qu’elle impliquait. La mission des tueurs de dragons n’était-elle pas d’annihiler les enfants de l’un des cinq esprits de la nature auxquels les devineresses consacraient leur existence ? » (p. 17-18)
On reconnaît un rôle important à la nature et à l’influence qu’elle exerce dans le développement de l’être humain. Il ressort une certaine vision écologique qui aurait eu avantage à être développée davantage : « Au lieu de chercher à les contrôler, comprends et respecte les enfants des esprits de la nature. Alors, tu auras droit à leur appui, avait dit la devineresse à Thad. » (p. 437)
J’ai de fortes réserves sur la récurrence des flash-back qui alternent constamment avec la narration au premier degré. Admettons qu’ils apportent des précisions sur les motivations et la psychologie des personnages. Ce procédé n’en alourdit pas moins le texte.
Quoi qu’il en soit, Héloïse Côté aura su donner une cure de rajeunissement au conte fantastique en suscitant des réflexions appropriées et contemporaines tout en évitant les clichés et les redites.
Martin THISDALE