Yves Meynard, Chrysanthe (Fy)
Yves Meynard
Chrysanthe
New York, Tor Books, 496 pages
Notre bilingue Yves Meynard publiant en anglais avant de publier en français, j’ai eu la joie de lire son nouveau roman avant tous les malheureux lecteurs francophones. Mais votre plaisir n’en sera que plus grand d’avoir attendu !
Christine a douze ans, et vit une existence quasi recluse dans la maison de son tuteur, Oncle Matlin. Elle pleure la nuit. Un de ses jouets qui parle, un lapin nommé Tap Fullmoon, lui raconte l’histoire de la princesse Christine. La princesse a perdu son père. Christine aussi – il n’est pas mort, il est juste parti, quand elle avait quatre ans. De sa mère, elle ne sait rien non plus. Elle ne se souvient pas du tout de ses premières années. Lorsqu’elle va enfin à l’école, Tap l’accompagne, invisible pour les autres. Mais petit à petit, elle le perd, ou il se perd : elle ne le voit plus. Se rendant compte à un moment donné qu’elle ne peut plus le toucher, elle tombe de sa chaise. Oncle alerté et inquiet l’emmène à l’hôpital, où elle laisse échapper la raison de son malaise. Oncle décide alors de l’envoyer voir un psychologue, le docteur Almand. Celui-ci, un parallèle de Freud (son nom l’indique…) dans ce monde qui se révèle quelque peu parallèle au nôtre, décide de la psychanalyser, en lui rendant ses souvenirs.
Ce qu’il fait ainsi remonter, ce sont des souvenirs abominables d’abus sexuels par son père et les hommes auxquels il la livrait. L’insistance du docteur nous semble bien un peu étrange, mais tout ceci s’inscrit dans des tropes modernes familiers, et nous l’acceptons, comme d’ailleurs Christine. Elle grandit, de plus en plus traumatisée de séance en séance. Un jour à dix-sept ans, elle se rend compte qu’un jeune homme dans une voiture rouge s’est arrêté pour la regarder. Elle s’enfuit. Elle le revoit peu après et s’enferme chez Oncle. Mais une lettre arrive, signée d’un certain Quentin de Lydiss qui l’appelle « Lady Christine » et lui donne un rendez-vous pour la nuit. Elle finit par s’y rendre. Le jeune homme lui déclare qu’il est un chevalier de la Chrysanthe parti à sa recherche. Elle refuse de le croire, lui ordonne de la laisser tranquille ; il accepte en lui demandant de le convoquer lorsqu’elle sera prête : il est lié à elle par un sort, et la trouvera où qu’elle soit. Lorsqu’elle rapporte, finalement, l’incident au docteur Almand, celui-ci concocte de nouvelles théories très convaincantes sur une secte occulte qui aurait été à l’origine des abus subis par Christine.
Mais le ver est dans le fruit (ou plutôt l’inverse, en l’occurrence) et Christine, petit pas après petit pas, commence à se libérer, et finit par appeler Quentin, avec qui elle s’enfuit, avec une grande réticence, refusant toujours de croire qu’il dit la vérité – mais elle garde tout de même à l’esprit la maxime souvent répétée de son lapin imaginaire : « Espoir et foi, foi et espoir ».
Nous changeons alors de fil, et nous voici avec un homme qui creuse dans la forêt : Evered, fils de roi, déterre un mort. Qui n’était pas mort, et qui était Casimir, un puissant magicien descendu dans le monde des morts pour s’y approprier la substance magique des Héros, afin d’accroître son propre pouvoir. On apprendra par la suite qu’Evered est le fils d’un roi détrôné par le roi présentement régnant, lui-même un Héros. Lorsqu’un Héros apparaît en Chrysanthe, c’est parce que le roi en exercice est un mauvais roi, et il doit laisser la place et mourir. Le père d’Evered est mort. Mais Evered et les siens sont persuadés que le roi régnant est un imposteur, et un assassin.
Retour au premier fil : Mathellin (le véritable nom du gardien de Christine), cherche désespérément à récupérer sa prisonnière. C’est cette poursuite et ses péripéties jusqu’en Chrysanthe qui constituent l’épine dorsale de la narration, jusqu’à l’arrivée en Chrysanthe et la réunion de Christine avec son père. Qu’elle va fuir dès qu’elle le verra, toujours habitée par les images horribles de ses anamnèses sous la férule du docteur Almand. Elle en sait maintenant le mensonge, mais elle ne peut s’en débarrasser, et ne parvient toujours pas à croire vraiment à ce qu’elle vit, ce qui constitue désormais la tension narrative du roman, avec les efforts du magicien Casimir et d’Evered pour recapturer Christine et abattre son père.
Je n’en raconterai pas davantage. Les rebondissements, découvertes et révélations jaillissent presque à chaque page, que ce soit sur le monde où vit d’abord Christine, puis sur la Chrysanthe et sur le rapport entretenu par les deux mondes, sur la magie propre à la Chrysanthe… Et jamais une concession aux clichés habituels de la fantasy. Oui, il y a une quête (celle de Quentin), mais elle réussit dès les premières pages ; oui, la princesse doit retrouver la Chrysanthe – mais elle la retrouve assez vite, et c’est là que les vrais problèmes commencent ! Et leur solution ne sera ni facile, ni heureuse pour tous. Oui, il y a de la magie, mais sa nature et son fonctionnement n’ont rien à voir avec les ressassements auxquels nous ont hélas habitués les tonnes de pseudo-fantasy qui se publient en français depuis des années. L’imaginaire d’Yves Meynard est un des plus singuliers que j’aie rencontré dans ce genre (et j’en ai lu beaucoup, de la fantasy, classique et moderne), que ce soit dans ses grandes lignes – les mondes qu’il construit – ou dans la myriade de détails tous plus fascinants les uns que les autres qui nous aident à nous y projeter, à y rêver avec l’auteur.
Rassurez-vous : celui-ci est en train d’achever la traduction de son roman. À lire bientôt.
Élisabeth VONARBURG