Daniel Sylvestre, Le Compteur intelligent (SF)
Daniel Sylvestre
Le Compteur intelligent
Montréal, La Mèche, 2013, 108 p.
Dans le volume II de la série Carnets libres, Daniel Sylvestre récupère avec originalité un sujet qui, bien que banal, ne laisse pas indifférent. Il s’inspire d’un fait réel : l’installation de compteurs électriques intelligents dans le quartier Villeray à Montréal. Malgré quelques lacunes, l’idée était bonne en soi étant donné la réticence de citoyens à cette nouvelle technologie dans la réalité.
On sent d’ailleurs un fond d’ironie que l’auteur aurait pu utiliser davantage : « 7 mai 2012 – 10 : 32 Je longe la forêt de piliers qui soutient le subtil Métropolitain. J’aime ce boulevard pour sa laideur, ses rampes d’accès qui rendent les automobiles assassins. […] Je sais, il limite l’espérance de vie de ceux qui habitent sous son nuage de particules fines, mais bientôt nous aurons besoin de compteurs intelligents pour compenser. » (p. 14)
Derrière l’installation de ces compteurs intelligents se dissimule un complot fomenté par l’Ordre du Temple solaire qui prend le contrôle de Québec Volt (Hydro Québec), complot que tentent de percer Daniel (travailleur autonome qui, incidemment, porte le même nom de famille que l’auteur) et Hélène, sa conjointe.
Même si le récit dénonce l’emprise malsaine de groupements religieux, effectuant ainsi une certaine réflexion appropriée, il se veut accessible. Les amateurs inconditionnels du fantastique et de la science-fiction pourront y trouver leur compte.
Pour ma part, je trouve que la formule du carnet limite un peu les possibilités narratives pour ce genre de sujet. Mais, en revanche, les illustrations complètent bien ce dernier et jouent un rôle évocateur en permettant au lecteur de pénétrer mentalement dans cet univers.
La peur est l’élément déclencheur du récit. Peur du changement qui a inspiré partiellement l’histoire et qui ne semble être ressentie que par Daniel et Hélène. En général, les résidents semblent accepter facilement ce changement dans leurs vies, comme si cette attitude dénotait une certaine aliénation chez eux.
Les illustrations font d’ailleurs bien ressortir l’anonymat qui caractérise les relations entre les personnages. Ces rapports auraient cependant gagné à être mieux démontrés et approfondis. Par ailleurs, les compteurs intelligents prennent trop de place, et ce au détriment des relations humaines : « 8 août 2012 – 21 : 22 Nous avons un appareil de compagnie. Il va et vient dans la maison. Discret, sauf quand il s’amuse avec le chat hystérique qui pourchasse son rayon bleu. Douce euphorie domestique. Devrions-nous en parler aux autres ? Nous chassons cette idée en riant, conscients de l’étrangeté de la situation. » (p. 25)
Le choix du quartier Villeray par l’auteur se justifie entre autres par le fait qu’il constitue un microcosme de la vie montréalaise. Ce quartier populaire a évolué avec le temps. Pensons aux jardins communautaires qui ont contribué à lui donner une nouvelle philosophie.
L’univers du récit se caractérise par l’excès, dimension intéressante du texte qui se manifeste entre autres par des horloges numériques qui reculent. La conclusion est toutefois tirée par les cheveux alors que la tour de Hydro Volt lève dans les airs avant de se désintégrer… avec la complicité d’un des compteurs intelligents !
Cette tentative de redéfinition des normes du genre fantastique confirme l’intérêt du projet d’écriture, mais l’auteur aurait pu y aller avec plus de cohérence. La manière dont il investit ce genre ne fait pas toujours bon ménage avec un style introspectif suscité par la formule du carnet. Le sujet aurait peut-être été plus favorisé par la longueur et le développement inhérents au roman.
Martin THISDALE