Frédéric Raymond, Jardin de chair (SF)
Frédéric Raymond
Jardin de chair
Drummondville, Les Six Brumes, 2014, 174 pages.
Comment vivre au quotidien lorsqu’on est forcé de consommer de la chair humaine pour survivre ? Voilà l’interrogation derrière Jardin de chair, le premier roman de Frédéric Raymond. La question est riche en possibilités, le cannibalisme étant un sujet peu traité. Joël Champetier l’a certes touché avec La Peau blanche (une référence à cette œuvre est d’ailleurs insérée dans le roman), mais Frédéric Raymond l’aborde par les yeux du « monstre » lui-même, la pauvre Christabel.
Dissimuler la nature de son héroïne n’était pas le propos de l’auteur, aussi le lecteur apprend-il d’entrée de jeu que Christabel doit tuer des hommes et dévorer leur chair pour demeurer en vie. Il découvre également très vite que la jeune femme, malgré les impératifs de sa nature, n’est pas douée pour la traque et le meurtre… Ni pour la pensée logique et rationnelle. La cannibale trentenaire présente en effet l’impulsivité et les réactions chaotiques d’une femme-enfant trop couvée, psychologie fragile qui s’explique lorsque son passé est révélé et que sa mère, la glaciale, mystérieuse et envahissante Clara, fait son apparition.
La vulnérabilité de Christabel ne se limite cependant pas à sa psyché. Sa nature de cannibale ne semble lui conférer aucun avantage physique. Cela complique ses parties de chasse, forçant la jeune femme à recourir au sexe pour appâter ses proies. Le roman s’ouvre donc sur l’une de ces soirées de traque-séduction, soirée où la prédatrice, violée par celui qu’elle voulait tuer, deviendra victime. L’équilibre mental de la jeune femme, qui semblait déjà fragile, ne survit pas à ce coup du sort et à ses conséquences. Le roman suit dès lors la spirale de malheurs, accidents, morts et meurtres qui mènera Christabel à l’autodestruction.
Cette descente aux enfers de l’héroïne est contemplée par le lecteur plus qu’elle n’est vécue. L’écriture de Frédéric Raymond est claire et nette, parfois même légèrement académique, avec des descriptions dont il faut saluer la précision. L’auteur étant également l’un des éditeurs de la Maison des viscères, spécialisée dans l’horreur gore, il ne recule pas devant les détails des scènes de viol, sexe, boucherie et autres démembrements. Cependant, cette précision presque clinique introduit une distance entre le lecteur et le personnage. Au lieu d’une impression d’horreur pure, le lecteur, placé dans la position d’un voyeur, expérimente donc plutôt un malaise devant le répugnant spectacle.
Quelques maladresses dans la structure du récit amoindrissent malheureusement son impact. Alors que le premier chapitre du roman est clairement situé dans le temps, ce n’est pas le cas pour les chapitres suivants, qui ne respectent pourtant pas un ordre chronologique. De même, quelques informations se répètent d’un chapitre à l’autre (par exemple la présentation de la mère de Christabel), tandis que d’autres sont livrées trop tard pour produire leur plein effet (notamment les conséquences psychologiques du viol et les raisons pour lesquelles Christabel décide de poursuivre la grossesse qui en résulte).
De manière générale, le roman n’est pas à mettre entre toutes les mains. Les lecteurs sensibles seront rebutés par la violence du récit, tandis que les amateurs de gore pur l’apprécieront pour ses descriptions sanglantes, mais ils pourraient rester sur leur faim quant à leur nombre. Les infortunes de la pauvre Christabel sont destinées aux lecteurs qui aiment les histoires dérangeantes.
Geneviève BLOUIN