Éric Gauthier, La Grande Mort de mononc’ Morbide (Fa)
Éric Gauthier
La Grande Mort de mononc’ Morbide
Lévis, Alire (GF), 2015, 526 p.
Le conteur et écrivain Éric Gauthier nous a habitués à des romans de fantastique franc, à l’écriture ciselée, tandis que ses performances scéniques utilisent un langage commun et tirent leurs effets du réalisme magique. Avec son dernier roman, il semble avoir décidé de brouiller les cartes : La Grande Mort de mononc’ Morbide est rédigée dans une langue plus familière et le surnaturel, lorsqu’il s’invite dans le récit, apparaît au détour de légendes familiales.
Et quelle famille ! La lignée des Malenfant, au cœur du roman, est composée de personnages étranges, artistes bohèmes et autodestructeurs, hantés par un mystérieux Rôdeur. Celui-ci semble à l’origine des morts violentes qui secouent le clan depuis plusieurs générations. Élise, artiste multidisciplinaire, ne croit pas vraiment à ces histoires colportées par sa tante un peu fêlée. Son oncle Edgar, comédien retraité, non plus. Pourtant, tous deux possèdent des dons particuliers.
À côté de ces deux personnages, Steve est un gars on ne peut plus ordinaire. Informaticien qui ne vivait que pour son travail, il est sans repère depuis que la compagnie qui l’embauchait a mis la clef sous la porte. Forcé de vivre de peu, il devient le colocataire d’Edgar Malenfant. Reconnaissant en ce vieil haïssable le mononc’ Morbide de son émission jeunesse favorite, Steve est pris d’une envie étrange : tuer mononc’ Morbide d’une manière grandiose, afin de redonner ses lettres de noblesse au personnage. En attendant que Steve mette au point le plan parfait, lui et son colocataire jouent à se tendre des pièges et à faire semblant de s’assassiner mutuellement.
Une fois ces personnages présentés, le récit s’en va son petit bonhomme de chemin, sans que le lecteur ne sache exactement dans quoi il s’est embarqué, ni pour quelle destination. La route est belle, mais le rythme est un peu lent, car c’est celui du conte, où tous les éléments sont mis en place discrètement, à l’insu des auditeurs. Puis surviennent quelques cahots : des éléments de fantastique font intrusion dans ce qui semblait être, jusque-là, le réel le plus banal. Le déroulement de l’histoire s’accélère et, secoué de toutes parts dans notre fauteuil de lecteur, on se précipite de légendes en curieuses rencontres, vers la collision, l’affrontement final, qui dévoilera les mystères des légendes familiales.
Ma métaphore n’est pas choisie au hasard : l’intrigue du roman m’a donné l’impression d’avancer par soubresauts, ce qui était un peu déstabilisant. Peut-être parce qu’elle est centrée sur le personnage d’Élise, dont la personnalité est brusque et impulsive. D’ailleurs, j’ai rapidement pris en grippe cette Élise, parce qu’elle est dure, et à la limite injuste, envers le personnage de Steve, pour lequel j’avais un faible. Cela dit, pour susciter en moi une telle antipathie, il fallait qu’Élise soit campée de manière forte et réaliste. Alors même si je l’ai détestée tout au long de ma lecture, et que cela a un peu diminué mon appréciation du roman, je dois saluer le talent de l’auteur qui l’a créée !
Je ne sais pas si Éric Gauthier avait pour ambition, avec La Grande Mort de mononc’ Morbide, de concilier ses voix de conteur et d’écrivain, mais c’est ainsi que le roman m’est apparu : à mi-chemin entre le récit oral et l’objet littéraire. C’est donc une occasion unique de convier ce talentueux conteur dans votre salon !
Geneviève BLOUIN